Comment ne pas épuiser sa voix avec un masque ? Que faire si mon enfant ne mange pas de morceaux ? Pourquoi mon père n’arrive-t-il plus à lire ? « Les questions sont nombreuses, d’autant que les patients ont du mal à avoir accès aux orthophonistes. Dans certains territoires, il y a jusqu’à un an d’attente avant d’obtenir un rendez-vous », confie Élodie Pascual, orthophoniste libérale. D’où l’idée d’Allo-ortho, site d’information et de prévention lancé le 2 septembre 2019, à l’initiative de l’association Plateforme de prévention et soins en orthophonie (PPSO), qui réunit la Fédération nationale des orthophonistes (FNO) et ses syndicats régionaux, les URPS orthophonistes mais aussi les associations de prévention en orthophonie.

« Tout est parti d’une prise de conscience : d’une part, l’accès aux soins en orthophonie étant très compliqué, les patients arrivent tardivement avec des problématiques parfois complexes. Et, d’autre part, étant donné leur incapacité à répondre à toutes les demandes, les orthophonistes montrent fréquemment des signes de burn out », poursuit la rédactrice en chef du site. D’autant que leur champ d’action est très étendu : nourrissons prématurés, enfants avec handicap, ORL, dyslexie, otites à répétition, adolescents, bégaiement, patients trachéotomisés, accident vasculaire cérébral, traumatismes crâniens, sclérose latérale amyotrophique… « On travaille beaucoup avec les familles, les aidants et les patients pour les aider à communiquer du premier au dernier jour de la vie », développe Élodie Pascual.

Apporter des réponses aux interrogations du public sur la nécessité d’un recours à l’orthophonie et fournir des informations sur la prévention des troubles, tels sont les objectifs d’Allo-ortho. Car une communication adaptée permet d’apporter une première réponse aux nombreux questionnements des parents et de l’entourage. « Nous proposons une centaine de fiches pratiques sous la forme de questions/réponses afin de faciliter la lecture et la navigation à l’intérieur du site. En cas de non-accès à la lecture, il est possible d’écouter l’article via un système de podcast, explique l’orthophoniste. Informer de la sorte permet également de limiter le recours aux orthophonistes. »

On mise sur une meilleure utilisation du soin par l’usager. À travers cet outil, on investit dans l’accès aux soins

Trois échelles d’intervention

Le premier échelon du site s’adresse aux patients sous une forme d’empowerment et d’accès à l’éducation aux soins orthophoniques. « L’essentiel pour nous est de partir du vécu, du quotidien des personnes. Les fiches sont rédigées par des orthophonistes en fonction des questions qui leur arrivent du terrain. Créer ces fiches demande du temps, mais elles peuvent être utiles au plus grand nombre et aussi réduire les demandes de consultation », espère Élodie Pascual.

Deux autres étages sont actuellement expérimentés dans trois régions (Hauts-de-France, Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté) grâce à un financement de leur agence régionale de santé (ARS). Le deuxième niveau comprend une plateforme de régulation téléphonique et un questionnaire. Ainsi, en cas de non-réponse à une question, la personne peut remplir le formulaire présent à la fin de chaque article, qui déterminera la nécessité ou non d’un bilan orthophonique. En cas de doute, un orthophoniste régulateur régional, formé et financé par son ARS, rappelle le patient pour faire le point sur ses interrogations, orienter ou faire de la prévention si besoin.

Au troisième étage du site, on retrouve une plateforme d’adressage en ligne vers un orthophoniste du secteur. « Cela ne garantit pas d’avoir un rendez-vous plus rapidement, mais on propose à la personne d’envoyer sa question – via la plateforme inzee.care – à un professionnel. Les orthophonistes inscrits peuvent alors valider ou non la demande de bilan, en fonction de leurs propres disponibilités », explique Élodie Pascual.

Un support pour d’autres professionnels

Pensé comme un outil de prévention et d’information, le site peut servir de support aux médecins généralistes. « Vu la diversité des contributions, c’est une source d’information intéressante à recommander aux parents, précise le Dr Yannick Schmitt, médecin généraliste installé à Lingolsheim, commune limitrophe de Strasbourg. Je fais pas mal de pédiatrie, et lors d’une consultation de suivi, la discussion avec les parents prend autant de temps que l’examen lui-même car il faut répondre aux inquiétudes, faire de l’éducation, conseiller… On a beau donner des réponses en cabinet, c’est toujours bien de les laisser repartir avec un complément d’information à aller explorer à la maison. »

Pour l’ARS Bourgogne-Franche-Comté, qui a financé les volets 2 et 3 au niveau de sa région, cet outil – qui sera répertorié dans le Pass santé jeunes – « doit permettre d’améliorer et de préciser la réponse aux besoins de soins en orthophonie. Nous avons souhaité accompagner ce projet non seulement au regard des problématiques grandissantes en termes d’accès aux soins mais également des projets régionaux en cours (parcours du développement de l’enfant, handicap…) », précise l’agence.

La construction et le financement du site ont été assurés par la FNO en partenariat avec les URPS, les syndicats régionaux, les associations de prévention en orthophonie… Pour autant, financer, créer et animer un site afin de limiter le recours à l’orthophonie – soit moins de patients en cabinet et un gain financier moindre –, est-ce contradictoire ? Non, affirme Élodie Pascual, car « on mise sur une meilleure utilisation du soin par l’usager. À travers cet outil, on investit dans l’accès aux soins, et on souhaiterait que les ARS s’engagent plus largement sur les volets 2 et 3 afin d’avoir un rayonnement national ».

En complément des évaluations réalisées par les ARS et l’équipe, trois mémoires tentent de faire avancer la recherche sur l’accès aux soins orthophoniques. L’un d’entre eux, réalisé par Laura Cuisinier, actuellement en 4e année d’orthophonie à l’école de Poitiers, tente d’évaluer l’efficacité du niveau 2 en comparant deux régions qui expérimentent, ou pas, le dispositif.

Au 1er janvier 2019, la Drees comptait 25 607 orthophonistes en France. En Charente-Maritime, où exerce Elodie Pascual, le déficit est majeur : « Bordeaux est bien doté, mais en Creuse, par exemple, on compte 1 orthophoniste pour 6 000 habitants. » Pour autant, les professionnels s’engagent, donnent de leur temps afin de garantir un accès aux soins différent, certes, d’une consultation en présentiel mais qui permet d’orienter, de rassurer, de prévenir. Allo-ortho est d’ailleurs le seul site orthophonique référencé aujourd’hui sur le site ameli.

Pour un « numerus clausus » plus conséquent ?

Revalorisation des salaires (fixes depuis 1984), meilleure disponibilité et diversité des terrains de stage… les revendications sont nombreuses ! « On vient tout juste d’atteindre les 20 000 orthophonistes libérales en France, lance Élodie Pascual. Ce n’est rien par rapport à la demande sur l’ensemble du territoire. » La Fédération nationale des orthophonistes (FNO) milite, depuis des années, pour une augmentation du numerus clausus. Chose acquise début 2020 par l’arrêté du 24 janvier qui fixe le nombre d’étudiants à admettre en première année d’études préparatoires au certificat de capacité d’orthophoniste : 912 pour l’année 2020-2021… soit une (toute) petite hausse de 52 pour l’ensemble du territoire.

En chiffres

25 607 orthophonistes en France, dont 20 787 en activité libérale ou mixte.
96,8 % sont des femmes.

Densité moyenne en libéral : 31 orthophonistes pour 100 000 habitants.
Densité maximale : 56,5 orthophonistes pour 100 000 habitants dans l’Hérault contre 9,2 pour 100 000 habitants dans la Creuse.

Chiffres au 1er janvier 2019, Drees.

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