« Nous avons un magnifique système de santé. » Cette affirmation qui sonne comme une devise n’est pas vide de sens dans la bouche de Camille Thérond-Charles. La présidente de l’Association maladies foie enfants (AMFE), en tant que mère d’une fille qui a dû arpenter les méandres du système sanitaire français, en a vu beaucoup d’incohérences. Des incohérences qui, pour elle, ne semblent toutefois pas symptomatiques d’un modèle.

Cette vision est en accord avec les résultats d’une étude BVA dévoilée par la Fédération nationale de l’information médicale (Fnim) lors de l’Open Fnim, organisé le 10 décembre et au cours duquel Camille Thérond-Charles était invitée à intervenir. Cette enquête s’est penchée sur la vision qu’ont les patients de leur prise en charge, et tente de répondre à une question qui prend de l’importance à l’heure d'un dépoussiérage du système de santé : comment améliorer la relation patient-soignant ? 

Des médecins compétents…

Les premiers résultats sont plutôt rassurants pour les professionnels de santé. Alors qu’un peu plus de la moitié des personnes interrogées se déclaraient prises en charge pour une affection de longue durée ou pour un problème de santé nécessitant des traitements réguliers ou fréquents, 91 % ont estimé que, lors de leur dernière consultation, le médecin avait bien répondu à toutes leurs questions de manière compréhensible. Dans l’ensemble, les patients se sont sentis en confiance, et leurs médecins ont pris en compte leurs avis, leurs remarques. Et ce, malgré l’impression que le temps des médecins est compté (59 % des sondés).

En revanche, plus de la moitié des malades chroniques (53 %) déclarent être sortis de consultation avec des questions en suspens au moins une fois au cours des deux dernières années. Ils sont presque aussi nombreux (43 %) à s’être sentis insuffisamment écoutés, et beaucoup (36 %) ont ressenti un défaut de prise en charge.

Ces expériences, Camille Thérond- Charles les a vécues au travers du parcours de soins compliqué de sa fille. « Le temps s’arrête, car on est à la disposition des médecins et du système », explique-t-elle. Et cela altère la relation avec les soignants : « Ce n’est pas une dictature, mais plutôt la peur des patients de poser trop de questions, ou que les médecins n’aient pas le temps d’y répondre… » Avec son association de patients, elle conseille d’ailleurs de bien préparer les rendez-vous, pour savoir quelles questions poser.

… qui peuvent faire mieux

« Dans ma pratique, le temps est compté, répond le Dr Sophie Augros, déléguée nationale à l’accès aux soins et médecin généraliste. Il y a une nécessité de soigner mais aussi une volonté d’écouter les attentes du patient. » Ce qui n’est pas toujours facile, regrette-t-elle. Mais elle insiste pour aller dans ce sens. « Je fais le mea culpa de ma profession : nous ne sommes pas des champions de la communication », ajoute-t-elle, rappelant que la sélection ne favorise pas ces compétences, et que la formation sur le sujet est quasiment absente du cursus de formation générale.

Il pourrait y avoir un rattrapage avec la formation continue, comme elle le fait elle-même dans sa maison de santé, avec l’ensemble des professionnels : « Justement, vendredi et samedi derniers, une formation a été organisée avec une psychologue sur la manière de prendre soin des patients. » Mais là encore, pas d’obligation, regrette-t-elle.

La solution est aussi dans les mains du système de soins. La Fnim, dans son enquête menée avec des associations de patients(1), insiste sur l’amélioration de l’expérience patient (voir encadré). Ce développement tombe sous le sens pour Camille Thérond-Charles : dans sa vie professionnelle, elle travaille pour l’amélioration de l’expérience client. « Aujourd’hui, toute la société a pris ce virage. La santé est le centre d’intérêt premier des Français, mais c’est là que ça pêche », s’inquiète-t-elle.

Un système peu encourageant

Et pour souligner ce qui peut être amélioré de manière évidente, avant même la relation entre le professionnel de santé et le patient, elle donne un aperçu des petits tracas systématiques d’un patient chronique : « Il faut aller aux admissions, ressortir la carte Vitale, se faire imprimer des étiquettes… Alors qu’on vient deux fois par semaine ! »

Laure Guéroult-Accolas, présidente de l’association Patients en réseau, elle aussi invitée à l’Open Fnim, apporte sa pierre à l’édifice en parlant des parcours de radiothérapie. « On vient pour quelques minutes de traitement à l’hôpital, mais parfois sans connaître l’heure précise de passage. Certains centres anticipent, et proposent toujours les mêmes horaires de passage, en tenant compte des besoins des patients, note-t-elle, reconnaissant que les choses commencent à bouger. Accompagner les patients, leurs proches et les soignants : c’est aussi ça, faire remonter l’expérience patient. »

Accompagner les patients

L’organisation, l’accompagnement, la simplification des démarches font partie des points à améliorer pour la Fnim. En marge de l’étude qu’elle a présentée, elle pose la reconnaissance de l’expertise patient comme condition indispensable à une bonne prise en charge. Une fois remplie, elle ouvre la porte à une amélioration de l’éducation thérapeutique, à la formation de patients partenaires et au développement des études centrées patients.

La Fnim et les associations proposent également la création d’une plateforme destinée aux patients chroniques et à leur accompagnement, notamment sur les aspects communs (droits sociaux, alimentation, bien-être…), ainsi qu’une meilleure formation des médecins à la relation patient.

Professionnels de santé, associations, patients, universités… Un changement du paradigme du soin est à la portée du système de santé. Il en va de l’amélioration de la prise en charge pour le patient, mais pas seulement. « C’est aussi un souci d’efficacité, et d’argent dépensé par le système de santé. » Et c’est Camille Thérond-Charles, mère d’une patiente chronique, qui le dit.

1. AFME, Patients en réseau, Renaloo, Fondation François-Aupetit, Fédération française des diabétiques, Fondation Arsep. 

Des patients partenaires de la création des CPTS

L’approche de la santé change. La tendance est à l’ouverture des barrières séparant la ville de l’hôpital et les médecins des paramédicaux. Elle est aussi à un changement de la relation qu’entretiennent les professionnels de santé avec leurs patients, et de la place de ces derniers dans le système sanitaire.

Depuis les années 1960, le paternalisme médical est remis en question, et la notion de « prise en charge » du patient se redéfinit progressivement. L’introduction de l’éducation thérapeutique, l’implication des associations de patients dans les crises sanitaires et la démocratisation de l’Internet ont rebattu les cartes(1). Combinées à l’émergence des maladies chroniques, elles tendent à réduire l’asymétrie de la relation soignant-soigné. « Tout patient acquiert une expérience avec le système de santé : un savoir-être comme un savoir-faire », explique Philippe Michel, professeur de santé publique à la faculté de médecine Lyon-Est et directeur organisation, qualité, risques et usagers aux Hospices civils de Lyon (HCL).

Cette expérience, certains décident de la mettre au service des autres. « Ces patients-partenaires peuvent être des pairs aidants, des formateurs, des ressources pour les établissements de santé, ou parfois – de manière encore rare en France – des patients chercheurs. » Cette notion de patient-partenaire est déjà avancée au Québec(2). La France n’est pas en reste : la loi Kouchner de 2002 a mis le patient au cœur du système, rappelle ainsi Philippe Michel. Mais si le changement de culture s’initie, il est encore à la marge dans les établissements, et reste peu développé en soins primaires. 

L’opportunité CPTS 

Les nouvelles organisations de la médecine de ville devraient néanmoins être motrices pour sa démocratisation, grâce notamment à la mise en place des CPTS. « Nous regardons les référentiels et la manière de les appliquer aux territoires », explique le Pr Michel, engagé dans une expérimentation coordonnée par la Cnam et l’ARS sur la pertinence de parcours en lien avec la création de CPTS en région Auvergne-RhôneAlpes. Il insiste sur le fait qu’elles ont tout à gagner à être pensées avec les patients. « Mais dans le cahier des  charges, leur implication n’est pas demandée… Il faut que nous nous posions la question de leur participation .»

Si ces nouvelles organisations favorisent la transition, le changement de culture passera 
aussi par la formation initiale. Elle gagnerait par exemple à intégrer des cours dispensés par des patients, même sur des enseignements cliniques. « Les doyens des universités sont sensibilisés au sujet. Les enseignants pas toujours, mais par effet domino, l’idée gagnera du terrain lorsque les établissements se mettront au partenariat patient. » À la faculté de médecine de l’université de Montréal, ces nouvelles perspectives d’enseignement sont déjà encadrées par une direction collaboration et partenariat patient.

En émergence dans les établissements, le partenariat patient servira parfois leur communication au travers d’initiatives plus cosmétiques qu’efficaces. Mais ce n’est pas négatif, et des expériences s’enracineront et engageront le changement. De leur côté, les HCL sont le premier établissement à avoir recruté un patient pour l’établissement de la stratégie et le choix des priorités. « Il faut parler du sujet pour que tout le monde se l’approprie », conclut Philippe Michel.

1. Mougeot F., et al. L’émergence du patient-acteur dans la sécurité des soins en France : une revue narrative de la littérature entre sciences sociales et santé publique, Santé publique 2018;30(1):73-81.

2. Pomey MP., et al. Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé, Santé publique 2015;HS S1:41-50.
 

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