Rendre le patient acteur de sa maladie. Cette idée que les professionnels de santé, et le médecin en particulier, n’ont pas le monopole de la santé fait son chemin. S’ils restent sans aucun doute les garants du soin et les référents de l’information, ils n’en sont plus les uniques dépositaires. Cette tendance, encouragée par trente années d’internet et le développement de la vulgarisation médicale, favorise la compréhension des maladies pour les patients, facilite le soutien entre eux et les échanges constructifs, offrant un autre point de vue que celui du professionnel de santé. Elle peut accompagner le cheminement vers certains diagnostics, simplement en encourageant à la consultation, par exemple.

Elle répond aussi à une demande des patients et accompagne une politique sanitaire qui tente un virage pour s’éloigner du tout-curatif, en favorisant les actions de prévention et la responsabilisation face à la santé, vers plus d’éducation thérapeutique. Dans cet esprit, les associations de patients ont évidemment un rôle important à jouer Parce qu’ils rassemblent, parce qu’ils ont une certaine légitimité en agissant sous le contrôle d’un conseil scientifique… C’est le cas de l’Association française des femmes diabétiques, qui, comme son nom le laisse pressentir, concentre son intérêt sur les problématiques liées au diabète chez les femmes.

Des questions en suspens

« Les femmes diabétiques de type 1 comme de type 2 sont souvent inquiètes autour de questions qui leur sont spécifiques, explique Fabienne Ragain-Gire, présidente de l’association. Il s’agit principalement d’interrogations concernant la grossesse. Peuvent-elles être enceintes en toute sécurité ? Quelle spécificité pour la prise en charge ? Les enfants seront-ils diabétiques ? »

Ces questions et les discussions qui les accompagnent ont dans un premier temps fait l’objet d’un forum. Et en 2007, une association loi 1901 a été créée pour pérenniser le travail accompli. Elle est reconnue d’intérêt général et affiliée à la Fédération française des diabétiques (association de patients agréée par le ministère de la Santé pour la représentation des usagers). L’association compte aujourd’hui environ 150 adhérentes réparties sur l’ensemble du territoire, « notamment en Île-de-France, en Occitanie et en Auvergne-Rhône-Alpes », précise Fabienne Ragain-Gire.

Elle organise des tables rondes, des réunions, des conférences entre patientes ou avec des professionnels de santé sur le sujet des femmes et du diabète, et elle est représentée dans les congrès médicaux... Une collaboration avec la Société francophone du diabète sur le suivi de grossesse a été mise en place. Elle publie également une newsletter mensuelle et un magazine, le Journal des femmes diabétiques, ainsi que des livres pour enfants et des brochures thématiques ou des fiches pratiques sur le diabète et la grossesse. Elle organise enfin des réunions d’activité physique adaptée, et participe à des séances d’éducation thérapeutique du patient, notamment du côté de Toulouse.

Mais le cœur de l’association reste son forum. Il y a bien sûr les interrogations autour de la grossesse, qui pose question pour les femmes diabétiques chroniques, fortement encouragées à se préparer spécifiquement pour cet événement. Mais pas seulement. Le forum de l’AFFD rassemble également des femmes non malades qui présentent un diabète gestationnel. « Une femme enceinte sur dix est concernée, rappelle la présidente, et le diabète gestationnel fait peur. Nous aimerions développer plus d’actions dans cette direction. »

Agora

Outre la grossesse, les utilisatrices du forum discutent de menstruations ou de ménopause, qui affectent et compliquent souvent la régulation de la glycémie chez les femmes diabétiques. Elles n’hésitent pas non plus à parler de charge mentale, renforcée par la maladie. « Ce forum de discussion est aussi un lieu d’empowerment, ajoute Fabienne Ragain-Gire. C’est un lieu de parole de pairs. Il est modéré par des patients experts, qui apportent leur expertise et des informations, voire une vision complémentaire sur certains sujets. Nous ne répondons pas aux questions médicales, mais l’idée est vraiment de rendre les patientes actrices de leur maladie. »

Le forum a du succès. Il compte 2  800 membres, qui ont créé 7  400  sujets de discussion, et près de 300  000 messages. Il a également accompagné plus de 350 grossesses, se réjouit la présidente de l’AFFD. « À travers certains messages, nous nous apercevons que ce sont parfois les diabétologues qui incitent leurs patientes à se tourner vers nous pour des informations », ajoute-t-elle. Autour du forum, une petite communauté s’est constituée, et les sujets dépassent le médical. Où ranger le matériel à la maison ? Quelle pompe à insuline ? Quelle assurance pour les voyages à l’étranger et comment passer les contrôles à l’aéroport avec une pompe ? Les sujets sont divers, et certains s’adressent également aux conjoints. Fabienne Ragain-Gire le précise : « L’Association française des femmes diabétiques est aussi ouverte aux hommes ! »

Le forum de santé en ligne comme média d'apprentissage

Souvent critiqué pour la légèreté scientifique des informations qu’il véhicule, le forum de santé en ligne peut pourtant être un média d’apprentissage et d’éducation. C’est en tout cas l’avis de Carole Deccache, psychologue clinicienne, qui a focalisé son sujet de thèse sur celui de l’Association française des femmes diabétiques.

« Quatre utilisations des forums de santé en ligne sont identifiées : recherche et partage d’informations médicales, soutien, échange sur une variété de sujets non médicaux, et acquisition de connaissance et de compétences. »* Ce dernier aspect est particulièrement important pour les patients chroniques, souligne-t-elle. « Ces espaces virtuels et gratuits peuvent être considérés comme un média d’apprentissage, formel et informel, spontané, qui échappe au contrôle institutionnel. » L’anonymisation possible des échanges et leur processus, ainsi que leur côté informel, semblent favoriser ce type d’apprentissage.

Les usagers peuvent parcourir les messages et consulter les réactions aux informations à leur rythme. Entendre la voix de pairs, notamment de patients experts, est aussi facilitateur d’identification pour les lecteurs, et d’adhésion à l’avis formulé. La présence de modérateurs est importante, également, et pas uniquement comme police des forums. En initiant certaines conversations, en encourageant la participation des patients, ils sont une valeur ajoutée sur leur pertinence.

Une étude** sur un forum de patients diabétiques de type 1 a également montré que plus de deux tiers des messages postés étaient en accord avec les recommandations officielles, et cela même en l’absence de modérateurs professionnels de santé, soutenant l’idée d’une utilité pour l’éducation thérapeutique du patient.

* « Aider les patients à apprendre : caractéristiques et types d’utilisateurs et d’utilisation des forums en ligne indépendants dédiés aux problèmes de santé et aux maladies chroniques », Carole Deccache et al., Éducation thérapeutique du patient, 2019.

** « Analyse des échanges écrits entre patients diabétiques sur les forums de discussion. Intérêt pour l’éducation thérapeutique du patient », Isabelle Harry et al., Distances et savoirs, 2008.

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