Article publié dans Concours pluripro, avril 2024
 

Au chapitre des constats, quel est celui qui vous a le plus frappée ?

Annick Jacquemet, sénatrice
Annick Jacquemet,
sénatrice © A.J.

La première chose, c'est le manque de données. Les femmes n'émergent pas du tout dans les statistiques qui sont produites. Par exemple, l'Assurance maladie dispose de données genrées mais elle ne s'en sert pas. Et, même au niveau des entreprises, il y a une grande crainte que se servir de ce type de données soit considéré comme de la discrimination. Pourtant, la loi demande qu'on différencie les femmes et les hommes dans les données sur la santé au travail mais, pour l'instant, ce n'est pas fait. Cela entraîne des conséquences : il faut déjà avoir une analyse fine de la situation pour pouvoir prendre des mesures et construire une politique de prévention. On s'est aussi rendu compte qu'il y a une sous-reconnaissance des maladies professionnelles et une sous-déclaration de ces dernières parce que les salariées mais aussi les médecins ne les connaissent pas bien.

Y a-t-il un domaine de la santé des femmes au travail où leur situation n'est pas pire que pour les hommes ?

C'est peut-être le sentiment qu'on a eu mais je n'aime pas mettre tout le monde dans le même panier. On a auditionné des chefs d'entreprise, la CPME, toutes les organisations patronales et syndicales et on a vu qu'il y a des patrons qui sont à l'écoute, même si au niveau réglementaire ou législatif, tout n'est pas prévu. Dans beaucoup d'accords de branche, il y a quand même une certaine prise en compte de ces questions. Et certaines entreprises prennent en compte les pathologies féminines.

Le rapport souligne à quel point on prend peu soin des femmes qui prennent soin des autres. Comment pourrait-on y remédier ?

Nous avons rencontré la personne qui développe des maisons des soignants dans les hôpitaux, un endroit où les soignantes peuvent se retrouver, se poser, échanger, partager leurs difficultés et où elles sont comprises. Elle nous a dit que cela fait un bien fou à ces femmes mais aussi améliore l'ambiance générale de travail. Nous recommandons le développement de ces maisons : il faut que les acteurs locaux s'en saisissent.

Parmi vos 23 recommandations, quelles sont les plus urgentes selon vous ?

Toutes ! La première peut-être, c'est de développer les statistiques, les données, les croisées sur la sinistralité du travail et avoir une approche genrée de la santé au travail pour, ensuite, avoir des politiques de prévention spécifiques, dédiées aux femmes. Et puis il faut les décliner, dans le prochain Plan santé travail mais aussi les plans régionaux de santé au travail qui n'ont, à part en Bretagne notamment, pas de volet sur la santé des femmes. Il faut également que le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), dans les entreprises, en tienne compte.

Comment votre rapport a-t-il été reçu par le gouvernement ?

Nous l'avons transmis aux ministères du Travail et de la Santé [du dernier gouvernement d'Élisabeth Borne, NDLR]. La ministre chargée de l'Égalité entre les hommes et les femmes [Isabelle Lonvis-Rome] était très intéressée et a dit qu'elle allait s'en saisir. À présent, nous devons recommencer à sensibiliser les ministres du nouveau gouvernement.

Comptez-vous rédiger une proposition de loi sur ce sujet ?

Nous attendons de voir comment le gouvernement va réagir. Mais tout ne se résout pas par la loi. Beaucoup de nos recommandations relèvent du domaine réglementaire comme l'ajout de l'endométriose à la liste des affections de longue durée, les incitations à négocier des accords de branche, la formation des professionnels de santé ou le prochain Plan santé travail.

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