Vous animerez en binôme un atelier lors de ce Rendez-vous de l'exercice coordonné qui s'articulera autour de cette thématique : "MSP, CPTS : contrainte ou liberté ?". Observez-vous sur le terrain un "choc" entre ces deux notions ?

Julien Régnier : Oui c'est quelque chose que l'on constate en coordination quand on est en contact avec d'autres professionnels de santé qui ne sont pas installés en exercice coordonné, quand on tente de créer du lien entre eux, quand on essaie de monter des CPTS ou encore de mobiliser un territoire sur l'exercice coordonné. Il y a, bien évidemment, des "pro"-exercice coordonné et des "anti", mais aussi d'autres qui sont davantage dans le questionnement. Ceux-ci se disent que ces notions ont l'air bien sur le papier mais qu'ils ont déjà du mal à effectuer correctement leur travail en raison d'un manque de temps… De manière générale, il y a à la fois cette peur de la temporalité, mais aussi parfois les peurs financières par rapport aux institutions. "Elles nous donnent de l'argent et on sera à leur botte, obligés de faire comme elles veulent et ce qu'elles veulent…" D'où cette notion de liberté fortement ancrée.

J'ai tendance à présenter l'installation en exercice coordonné comme un adolescent qui s'émancipe. Son rêve, c'est d'être libre, il veut avoir son chez-soi et faire comme il veut. Il cherche donc la liberté et quand il la découvre, il comprend également les contraintes de cette liberté : faire son ménage, faire son repas, ses courses… Mais c'est une contrainte qui vaut le coup de la liberté qu'il gagne. Rien n'est gratuit mais au final, on est encore plus libre grâce à ces contraintes qui, en plus, sont aidées, parce que les coordinateurs vont réduire ces contraintes pour ne laisser au professionnel de santé que les contraintes "agréables" : par exemple, réfléchir à comment il va s'organiser avec les autres pour proposer une meilleure offre de soin.
 

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Olivier Dupuis : Beaucoup de professionnels ne savent pas ce qu'est une MSP ou une CPTS, et ce qu'on y fait. D'où ce "choc" entre ceux qui n'y ont jamais exercé et ceux qui sont impliqués dans ces structures ou ces organisations. D'un côté, des non-initiés qui ont parfois fait de mauvaises expériences ou vécu des formes de hiérarchie, et de l'autre, ceux qui sont en exercice coordonné et qui sont extrêmement satisfaits de la façon dont cela fonctionne. Il y a une part importante de la peur de l'inconnu et de la perte d'indépendance... mais c'est surtout une appréhension.

Justement, est-ce que le fait d’avoir un coordinateur pour prendre en charge une partie des contraintes, cela rassure le professionnel libéral et lui permet de conserver une forme de "liberté" ?

J.R.: La liberté du libéral, ça rassure, c'est évident. Ils veulent gérer seuls leurs vacances, leurs horaires, sans être dépendants des consultations de l'autre, ou de se voir imposer des patients qu'ils ne se sentent pas en mesure de gérer, notamment dans certains parcours de soins. Par exemple, dans le projet "Mission retrouve ton cap" sur l'obésité infantile, un médecin généraliste en MSP me disait qu'il ne voulait pas faire de la pédiatrie. On lui a donc expliqué qu'il était en exercice coordonné mais pas forcément dans tous les projets de l'exercice coordonné, que chacun se met dans le projet qui lui correspond…

Le professionnel libéral a besoin d'être rassuré, notamment parce que la création d'une maison de santé est un peu lourde mais une fois qu'elle est lancée, ça y est tout roule… Mais la rédaction du projet de santé notamment, ça leur donne parfois l'envie d'arrêter. Et on les rassure : oui, cela vous prend du temps maintenant mais pour vous en libérer par la suite.


Je le vois sur plusieurs maisons de santé : la construction d'un vrai parcours de soins fait que les patients sont moins ballottés entre les professionnels, parce qu'il y a une vraie cohérence, une vraie coordination, une vraie connaissance du travail de l'autre. Et comme ils sont moins ballottés, ils ont le sentiment d'être pris en charge par un groupe qui se connaît et qui se parle. En plus, on leur propose des ateliers qui leur permettent de voir ces professionnels dans un autre contexte. Tout cela crée du lien et c'est du plus, autant pour les patients que pour les professionnels.

O.D. : Le coordinateur joue, en effet, un rôle essentiel. C'est le médiateur, l'organisateur, le tampon, le garant d'une structure équilibrée. Et il va synthétiser les réunions de concertation pluriprofessionnelle, ce qui fait gagner du temps au professionnel, notamment quand certains sont trop bavards (rires).

Il est essentiel aujourd'hui de lever toutes les réticences. Et parler des changements que peut avoir l'exercice coordonné sur l'exercice au quotidien. C'est parfois compliqué pour un libéral qui ne sait toujours ce que c'est de travailler à plusieurs. Il a fait le choix du libéral pour garder son indépendance mais il doit comprendre que le travail collectif, c'est la solution pour être plus serein dans son exercice. Car cela permet d'être épaulé face à un cas compliqué, mais aussi de se rassurer les uns les autres dans sa pratique… On en sort grandi avec une meilleure performance professionnelle au service du patient.


Vous exercez tous deux en maison de santé. Comment parvenir à lever les réticences et encourager notamment les jeunes à se lancer ?

O.D. : La jeune génération n'est pas celle qui doit être convaincue. Parce que le travail en équipe est valorisé pendant les études, et qu'ils ont l'habitude d'échanger sur leurs pratiques professionnelles… Finalement, la réticence vient plutôt d'une ancienne génération. Et je crois que l'intérêt des MSP, c'est de mettre face à face l'ancienne génération qui doit être rassurée, sur sa pratique qui est de bonne qualité, et la jeune génération, qui lui permet de voir que l'expérience a aussi une valeur. Cette mise en commun est très rassurante pour tout le monde.

Et puis, tous les professionnels veulent que leur patient soit bien pris en charge, qu'il ait le parcours de soins le plus fluide possible et une amélioration de sa qualité de soins. Cet élément convainc tous les soignants et il faut leur rappeler que c'est au sein des structures coordonnées que ces objectifs seront atteints.

J.R.: Lors de notre atelier, on voudrait que les participants puissent partager leurs peurs ou leurs idées reçues. Qu'ils précisent la contrainte principale qui les empêche d'adhérer à ces projets ou les effraie. L'idée est de les amener à débattre avec ceux qui y sont déjà. Pour nous, l'objectif, c'est d'essayer de confronter les idées pour qu'on puisse trouver des modes de fonctionnement face aux vraies contraintes ressenties, notamment en passant par la fonction de coordinateur qui pourra durablement diminuer cette contrainte ou la rendre plus positive. Pour reprendre l'idée du jeune qui s'installe : "oui, je dois payer un loyer mais c'est chez moi".

Focus

Fiche d'identité

> Coordinateur à la MSP de la Brie Nangissienne (Ile-de-France), Julien Régnier est également salarié de la société Docteur House. Cet expert en exercice coordonné – ancien formateur, ambulancier, infirmier, expert Covid à l'ARS ou encore directeur d'un centre d'accueil médicalisé du Samu social de Paris – accompagne tous les coordinateurs de maisons et centres de santé et de CPTS.

> Masseur-kiné installé depuis une vingtaine d'années, Olivier Dupuis exerce à Vanves (Ile-de-France) au sein de la MSP du Pôle vanvéen aux côtés d'une vingtaine de professionnels de santé.

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