Marie-Ange Lecomte s’en souvient encore : arrivé en France depuis un an et demi, un patient d’origine russe se présente à son cabinet médical. Il maîtrise peu le français et propose d’emblée d’utiliser son téléphone, et notamment un site de traduction, pour faciliter l’échange. D’un geste, la médecin généraliste le rassure : un dispositif existe au sein de la MSP Quartiers sud du Mans, maison de santé multisite, pour pallier ces difficultés de communication. Et un simple coup de fil suffit !

En effet, depuis cinq ans, un système d’interprétariat téléphonique est proposé aux généralistes libéraux des Pays de la Loire, afin de faciliter "l’accès aux soins pour tous dans le respect du secret médical", affirme l’Union régionale des médecins libéraux (URML) dans un communiqué publié début juillet. Un dispositif que Marie-Ange Lecomte, médecin généraliste depuis quarante ans, utilise 4 à 5 fois par jour, assure-t-elle : "Nous avons une patientèle à forte précarité, et nous avons choisi de ne pas fermer la porte aux migrants et aux allophones. Ce qui, au fur et à mesure, a modifié le profil patient et donc la réponse à lui apporter." Car "si nous ne parlons pas la même langue, comment pouvons-nous respecter notre cadre déontologique et recueillir le consentement libre et éclairé de notre patient ? comment avoir un entretien de qualité avec nos patients, indispensable au diagnostic ? comment dialoguer avec nos patients, les écouter, les rassurer, les faire devenir acteurs de leur prise en charge ?", questionne l’URML.
 

"On se demande comment on fait ?"

2015 : un groupe de médecins généralistes et d’internes, qui intervenait dans le cadre de l’association Médecins du monde, a l’idée de créer un groupe de travail sur la précarité dans le cadre de l’exercice médical. S’inspirant du modèle d’interprétariat professionnel en place en Alsace, "quelques années auparavant", raconte Louis-Marie Raimbault, membre de la commission "Reduction des inégalités sociales en santé et interprétariat", ils sollicitent l’URML Pays de la Loire pour développer cette solution dans la région. Une demande reçue "très favorablement", se souvient l’élu, et qui débouche sur la création de cette commission.

"Des familles sont hébergées au centre d’accueil des demandeurs d’asile à proximité de mon cabinet, précise le médecin généraliste. Elles représentent une bonne partie de mon activité." Celui-ci se souvient plus particulièrement de cette famille soudanaise qui "ne parlait pas un mot de français" : "On se demande alors comment on fait ?" Et une réponse a été trouvée grâce à ce dispositif d’interprétariat téléphonique qui "permet de dérouiller la situation sur le champ, d’échanger vraiment avec les patients, de leur donner des consignes si besoin…" Quid du délai d’attente de mise en relation ? En moyenne "une à deux minutes… mais parfois c’est plus souvent. Ça dépend des langues".

Au bout du fil, des personnes formées mettent les médecins en relation avec les différents interprètes qui peuvent se trouver "dans les locaux de l’association d’aide aux migrants, chez eux, sur le marché…", poursuit-il. Soumis au secret professionnel, ces interprètes réaffirment d’ailleurs aux patients le caractère confidentiel de ce temps de consultation. Marie-Ange Lecomte, pour sa part, "fait attention" à ne pas communiquer le nom du patient ou le sien tout au long de l’échange. Mais, avoue Louis-Marie Raimbault, cet outil allonge le temps de consultation… "ça le double ! parce qu’évidemment, on avance moins vite et on va moins loin dans la démarche. Mais ça permet d’avancer et d’identifier, par exemple, si la personne a déjà réalisé des examens dans une autre ville – car beaucoup ne viennent pas avec le bilan –, d’éviter toute surconsommation de soins ou redondance. Et puis, donner cette possibilité au patient allophone de converser dans sa langue garantit souvent un échange plus précis, tant pour le praticien que le patient", affirme-t-il.

Ce que reconnaît Marie-Ange Lecomte : "Ce dispositif permet d’aborder des points – l’histoire de vie, les difficultés du moment… – que le patient n’aurait pas pu, ou su dire, s’il ne s’était pas senti en confiance dans la langue qu’il utilise." Comme cette dame d’une soixantaine d’années que Louis-Marie Raimbault reçoit à son cabinet, et qui ne comprend pas le français : "Lorsqu’elle m’a vu prendre le téléphone, elle a hésité un moment, mais dès qu'elle a entendu sa langue maternelle à l’autre bout du fil, un sourire a irradié son visage. Elle avait un regard plein de reconnaissance : enfin quelqu’un me comprend !"
 

RETOUR HAUT DE PAGE