François Perl, vous serez le grand témoin de la matinée d’ouverture des Universités de la coordination en santé (29-30 août et 1er septembre à Albi), pour notamment parler de la notion de "soins intégrés". Expliquez-nous cette approche.

Ce concept, qui a été notamment développé aux États-Unis pour améliorer la qualité et l’accès aux soins, est basé sur un changement dans l’organisation du système de soins qui s’articule non plus autour des institutions mais autour des besoins du patient qui devient l’élément central du parcours de soins. Ce parcours passe aussi par la  déconstructions des silos institutionnels qui peuvent exister autour du patient, entre l’hôpital, la médecine de ville, les professionnels paramédicaux.

Les "soins intégrés" proposent de changer de paradigme et d’inverser la logique : il n’y a pas une constellation d’intervenants autour du patient avec plusieurs portes d’entrée possibles, mais une seule porte d’entrée dans le système de soin. Et c’est aux différents intervenants de s’organiser pour que le patient puisse avoir une vraie continuité de soins.

Quelle est cette porte d’entrée ?

Il s’agit d’un intervenant du secteur des soins de santé. Actuellement, on débat de ces questions en Belgique. Mais deux types de parcours peuvent se superposer sans forcément se croiser : un parcours médical où la porte d’entrée est évidemment le médecin généraliste, mais aussi un parcours socio-médical et administratif avec une forte navigation dans le système. Là, la porte d’entrée sera, ce qu’on appelle en Belgique, le coordinateur de soins ou le case manager, qui seront un peu le conseiller du patient dans l’approche médicosociale. Ce n’est pas un intervenant de soins mais il va l’aider à trouver la porte d’entrée et à naviguer dans le système.

Évidemment, cela s’adresse essentiellement à des patients qui souffrent de maladies chroniques et vivent des situations complexes. Car cette architecture de soin n’est pas activable dans n’importe quelle situation. On n’active pas la dynamique des soins intégrés dans toutes les situations. Mais dès qu’il y a une maladie chronique, un besoin de réadaptation ou de réinsertion professionnelle – par exemple après une incapacité professionnelle – on entre dans une logique où les soins sont plus intégrés.

En décembre dernier, le ministre fédéral de la Santé belge a mis sur la table une enveloppe de 18,5 millions d’euros sur deux ans pour développer 12 projets pilotes de soins intégrés pour les maladies chroniques. En quoi cette approche peut-elle changer l’approche des maladies chroniques ?

Elle va surtout changer l’approche du système de soin qui, en Belgique et malgré la taille du pays, est relativement peu territorialisée et où l’organisation locale de santé n’est pas ou peu construite. C’est ce qu’on est en train de structurer, en créant dans un premier temps des zones de soin. Ces bassins de soin sont déclinables en deux niveaux : des zones d’environ 300 000 habitants, ce qui permet de construire des partenariats entre les différents intervenants (hôpitaux, systèmes mutualistes, prestataires libéraux, etc.) et d’organiser les échanges d’informations au niveau macro mais aussi sur les patients ; mais aussi une déclinaison plus locale où on est sur du ciblage par pathologie. Par exemple, si on détecte la prévalence du diabète dans un secteur, on peut mettre en place des initiatives très ciblées à la fois sur la prévention et le curatif.

La première étape, c’est donc la construction d’un système de soin territorialisé… et là, on change de paradigme ! Car en Belgique, on a une Assurance maladie peu différente de la France (elle est publique et obligatoire) mais qui, comme beaucoup de systèmes issus de sécurités sociales d’après-guerre, tient relativement peu compte du territoire et considère le risque social comme quelque chose d’assez homogène. Or, on sait très bien que ce n’est pas le cas : il y a des territoires où les besoins en santé sont plus importants, où les risques sociaux et environnementaux sont plus présents, où il y a de plus gros taux de maladies chroniques… Donc l’approche ne peut pas être la même. Il faut donc une organisation des soins qui s’adapte aux besoins du territoire et aux besoins des patients de ce territoire.

Parmi les 12 projets pilotes, plusieurs sont centrés notamment sur le diabète qui est un cas très fréquent de maladie chronique dont la prévalence augmente. L’approche ici consiste à faire du recrutement de patients car il y a beaucoup de diabétiques qui s’ignorent. Il est donc nécessaire d’avoir une approche de détection de la maladie et ensuite, proposer aux patients, qui sont dans le stade de prédiabète ou de diabète, une autoévaluation et des mesures de prévention (notamment diététiques). Et ensuite, si le diabète est diagnostiqué, mettre en place le trajet de soins, autrement dit, une prise en charge par un médecin référent, un spécialiste en diabétologie mais aussi des intervenants en matière de diététique, des podologues, etc. et ainsi offrir la prise en charge la plus complète possible.

La différence, c’est qu’avec l’approche territorialisée, le patient visibilise clairement ses référents, ses case managers, soit au niveau de l’hôpital ou d’un centre de soin pour des prises de rendez-vous, des renseignements… De plus, la charge ne repose plus uniquement sur le médecin généraliste qui pourra ainsi se recentrer dans ses missions de soin. C’est donc une manière de le décharger de ces tâches socio-administratives, car en Belgique, comme en France, on souffre d’un problème de démographie médicale.

Paiement à l’acte et soins intégrés ne sont pas forcément compatibles
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