Les contraintes de l’exercice, le manque de reconnaissance et la perte de considération expliquent pour une part ce désenchantement au sein des professions de santé, mais le défaut de perspectives de carrière y a aussi sa part, de même que les conditions de travail. Les choix de spécialité des internes sont parlants à cet égard : ils prennent en compte la qualité de vie et donc les activités où les gardes et les astreintes sont limitées, où l’amplitude horaire est raisonnable.
Le secteur privé peut parfois être privilégié du fait d’une meilleure rémunération que dans de la fonction publique hospitalière mais les conditions de travail, assorties de moins d’astreintes, comptent aussi. D’autant que les grilles de rémunération de l’hôpital sont largement insensibles aux différences de pénibilité subies par les praticiens.
La gradation des soins sur le territoire et la répartition des tâches au sein des établissements ne visent pas seulement une plus grande efficience. Elles sont aussi susceptibles de rendre plus claires les missions. Faute de quoi, les praticiens se voient déborder, avec le devoir de tout faire et, bien souvent, de faire face à des injonctions contradictoires.
Parmi les évolutions considérables de ces dernières années, il faut enfin faire toute sa place au digital, qui a entraîné une évolution fondamentale des pratiques des soignants au quotidien : il contribue certes à améliorer les conditions de travail (facilitation de tâches répétitives sans valeur ajoutée), à créer potentiellement de nouveaux métiers mais il augmente aussi le temps devant un écran au détriment du temps consacré au patient. Le digital contribue en outre à repositionner les différents acteurs d’un parcours de santé et donne de fait des perspectives de carrières différentes et complémentaires.
Face à ces transformations et à ces contraintes, il est indispensable de construire des trajectoires de travail et de formation correspondant aux aspirations des professionnels tout au long de leur vie. Il faut redonner aux personnels l’envie de progresser professionnellement, notamment en leur offrant des passerelles permettant de se hisser vers de nouvelles compétences, d’autres métiers, d’autres horizons.
Aujourd’hui, les silos sont partout ! Il est indispensable de redonner de la souplesse, levier puissant d’attractivité et donc de casser les silos, pour donner des perspectives. Nous proposons ici quelques pistes :
- Ouvrir "pour de vrai" le chantier des champs de compétences des métiers de la santé et donc accepter de répartir différemment ces activités au travers de plus de professionnels, pour ainsi montrer un chemin d’évolutions de carrière larges et diversifiées ;
- Faire évoluer des carrières médicales exclusivement tournées vers le soin vers des fonctions de management, de formation ou de santé publique ;
- Proposer à l’ensemble des professionnels paramédicaux des trajectoires de carrières horizontales (entre métiers de même niveau) ou verticales (par le biais de la promotion professionnelle, en développant massivement les formations en cours de carrière et les dispositifs de validation des acquis) ;
- Relancer le chantier du cadre unique d’exercice pour les professions de santé : ni libéral ni salarié ou bien plutôt et libéral et salarié.
Dans ces affaires qui touchent aux métiers et aux compétences, où la controverse surgit à tout propos, il faut un peu de méthode et beaucoup de constance.
On a de fait beaucoup innové au cours des dernières années : partage des tâches, pratique avancée, accès direct, réformes multiples dans le champ des formations. Parfois avec un dessein clair. Parfois de façon un peu brouillonne. Il faut une expertise précise et approfondie en ces matières (comparaisons internationales, connaissances statistiques fines, conditions de la régulation juridique et financière, etc.), il faut une concertation globale, c’est-à-dire non parcellisée (ne pas jouer les acteurs les uns contre les autres ou les uns après les autres), une trajectoire de transformation claire et un schéma de mise en œuvre réaliste : quelle part de la construction réglementaire ? Quelle place pour les expérimentations ? Comment passer de l’expérimentation isolée – ou interminable – à la diffusion des innovations qui marchent ? Quel degré de différenciation sur le territoire ?