C’est sur la pause du midi que le rendez-vous est fixé avec sept médecins généralistes* exerçant dans une maison de santé en Bretagne, qui ont décidé de ne pas faire grève le 1er et/ou 2e décembre prochain. "On prend toujours des décisions concertées, lance l’une des médecins. Des décisions qui doivent être cohérentes avec notre choix d’exercice et par rapport à notre patientèle." Pour autant, s’ils ne se reconnaissent pas dans les revendications que porte le collectif "Médecins pour demain", ils avouent tout de même ne pas "tout à fait à l’aise" avec l’idée de ne pas faire grève… Témoignage.
 

"Aujourd’hui, c’est clair : la parole est à ceux qui font grève. Quand on tente de débattre, notamment sur les réseaux sociaux, pour dire que le G à 50 euros – qui est la revendication principale du collectif "Médecins pour demain" – ce n’est pas forcément ce qu’on veut mettre en avant, on se fait lyncher à chaque fois ! Et franchement, ça fait partie des choses qui nous gênent dans ce mouvement qui laisse peu de place à la discussion et aux avis différents… D’autant que la consultation à 50 euros, ça nous paraît compliqué à mettre en place et à demander aujourd’hui alors que la conjoncture actuelle est difficile pour tout le monde. Oui, on est d’accord qu’il faut une revalorisation des actes, mais doubler le prix de la consultation, ce n’est pas possible. Pourquoi ne pas aller vers un G à 28 euros ? Cela permettrait de couvrir l’inflation et c’est déjà pas si mal.

En revanche, il faudrait vraiment augmenter le tarif des visites à domicile, vu le temps de la complexité, le temps de coordination quand on est en structure, ou avec les personnes qui interviennent à domicile… Aujourd’hui, le domicile, c’est des situations complexes. Et comptant l’aller-retour en voiture, une visite dure volontiers une heure. À 35 euros la visite, c’est pas censé quoi…

L’autre revendication, c’est l’arrêt des Rosp et des forfaits structure. Mais à partir du moment qu’on a un organisme payeur et solidaire, il est obligé de faire une régulation… ou alors, on change de modèle… On est d’accord : le modèle n’est pas génial mais faire du tout-à-l’acte, c’est juste pas possible. Parce que ceux qui y trouveraient bénéfice sont ceux qui font des actes et des actes et des actes de manière irréfléchie… et ce n’est pas notre manière de faire. Ils disent que le prix de la consultation n’a pas augmenté depuis des années, c’est vrai et c’est faux… parce qu’avec les forfaits, si la lettre clé G reste au même tarif, la proportion des forfaits a augmenté.

La Rosp permet, elle, de questionner nos pratiques et d’axer notamment la consultation sur la prévention. Et quand on fait beaucoup d’actes, pas sûr qu’on soit très efficace en matière de prévention. Oui, la Rosp a des défauts mais tant que les objectifs restent atteignables et logiques, c’est un avantage…

 

Ce mouvement laisse peu de place à la discussion et aux avis différents

En filigrane des discours, on entend : si on n’est pas entendu, tout le monde doit être solidaire et se déconventionner… Clairement, on ne se reconnaît pas dans ce message et on ne l’assume pas. Ca reviendrait à accepter une médecine qui ne serait plus accessible à tous.

On est tous inquiets par rapport à l’évolution de notre pratique médicale. On est tous d’accord sur le fait qu’on n’est pas assez nombreux, et qu’il faudrait notamment simplifier l’administratif et confier des actes à d’autres, comme les certificats. Mais certains actes, notamment les actes simples, c’est aussi notre soupape, on aime les faire, on aime rencontrer les patients, on aime aussi que ce soit pluridisciplinaire et on s’intéresse à beaucoup de choses. La médecine, c’est très riche et on veut garder cette richesse. Si on commence à donner la pédiatrie, la gynéco, les petites infections à d’autres… Et on ne s’en rend pas compte : lors d’une consultation médicale, on a rarement un seul motif de consultation… Est-ce que les paramédicaux seront aussi polyvalents que nous ? Je ne sais pas… Mais on peut leur confier les arrêts de travail courts, on a d’ailleurs su le faire pendant le Covid, ou encore, la prise en charge des petites pathologies virales : depuis la semaine dernière, ça déborde dans nos cabinets. Et quand il s’agit d’un patient qui a besoin d’un arrêt de travail à envoyer dans les 48h, et qu’on n’a pas de place… c’est compliqué !

Pour l’heure, les patients ne nous interrogent pas sur notre disponibilité ces deux jours de grève annoncée. Peu sont au courant de cette grève finalement. Beaucoup de médecins disent que la population la soutient mais pas sûr que ce soit le cas. On passe déjà pour des personnes hyper privilégiées, et là, faire grève pour demander un prix doublé pour la consultation, on va passer pour quoi ? Oui on a besoin de revaloriser les actes parce que les charges de matériel, de personnel ne cessent d’augmenter alors que le chiffre d’affaires diminue chaque année… Mais de là à doubler le G, c’est fort comme message à la population !

Et ce qui est dommage, c’est que les médias ne parlent pas de la médecine générale dans ce qu’elle fait de bien, dans les services qu’elle rend à la population. Quand il fait les gros titres, le médecin n’est jamais présenté de façon positive.

Et puis, fermer en pleine pandémie de grippe et de bronchiolite, c’est pas responsable… D’autant qu’on voit que plusieurs cabinets aux alentours feront grève. Donc on reste à nos postes pour assurer l’accès aux soins… même si on râle comme tous les autres professionnels de santé. Le ras-le-bol est partagé."
 

NOTE
*
Les médecins ont souhaité garder l'anonymat
 

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