Tribune d'Alain Beaupin publiée dans Concours pluripro, septembre 2023
 

"L'époque est étonnante. Forte demande des patients, fortes attentes de jeunes professionnels se détournant du libéral, hôpitaux recentrés sur leurs missions propres... Les conditions sont réunies pour un développement sans précédent des soins primaires et des centres de santé. Nombre de collectivités territoriales se sont saisies du dossier. Après les communes et les intercommunalités, ce sont désormais les départements qui créent des centres de santé, dans le sillage du précurseur, la Saône-et-Loire, suivie par plusieurs régions. Avec un point commun : service public, accès à un médecin traitant...

Ces initiatives, prises par des acteurs dont ce n'était pas la mission première, sont le révélateur de politiques gouvernementales d'abandon. "Laissons faire la main invisible du marché", semble-t-on penser depuis longtemps au Palais. On se rappelle la suppression de l'agrément des centres de santé, et la possibilité offerte aux cliniques commerciales de gérer des centres de santé. L'Assurance maladie aura longtemps assisté, impuissante, au développement de ces centres de santé prédateurs, positionnés sur des créneaux rentables (les soins non programmés, la téléconsultation) ou sélectionnant de facto les publics rémunérateurs (précaires et autres publics difficiles, passez votre chemin...). Le déconventionnement des centres de santé Alliance Vision, unanimement approuvé par les représentants des centres de santé, est venu redonner un peu d'optimisme. Les tricheurs ne sont plus tolérés. Ouf !

 

Laissons faire la main invisible du marché

Mais le mouvement de fond d'une financiarisation des soins primaires est déjà engagé. Après la biologie médicale et la radiologie, les fonds de pension s'apprêtent à venir exiger leur dîme sur les soins primaires. Après l'expulsion des tricheurs, à quand la mise hors jeu du privé lucratif ? L'urgence est à la création de centres de santé polyvalents pluriprofessionnels, par des acteurs d'intérêt général. Des barrières budgétaires l'empêchent ? Renversons-les. Les expérimentations nationales Peps et Ipep ont éclairé la voie. La mission Igas devrait faire des propositions, très attendues.

Une piste ? 20 à 30 % des dépenses de santé sont des actes inutiles (OCDE). Chaque médecin généraliste prescrivant officiellement chaque année 750 000 euros de dépenses remboursées, ce sont 150 000 euros par médecin et par an qui pourraient être économisés et reversés aux centres de santé au titre de l'amélioration de la qualité. Incitons les centres de santé à consacrer du temps à expliquer pourquoi nombre de prescriptions sont inutiles, voire dommageables. Libérons les cliniciens et les équipes, finançons une sobriété fondée sur les preuves. Finançons, enfin – il est grand temps –, la prévention, la santé publique et les missions sociales. Le temps est venu de transformer le modèle."

 

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