Article initialement publié sur le site du Laboratoire d'idées santé autonomie (Lisa)
 

On ne compte plus aujourd’hui les propositions de loi dans le champ de la santé et de l’autonomie : Rist, pour l'amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, Jomier, pour l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, Meynier/Valletoux, visant à améliorer l’accès au soin pour tous, Garot contre la désertification médicale, Bien vieillir, Chapelier, visant à faire évoluer la formation de sage-femme IVG… ​Est-ce le signe de la vitalité du Parlement ou un stigmate de la difficulté à porter une ligne claire quant à la transformation de notre système de santé ?

Loin de nous l’idée de défendre à tout crin les principes du "parlementarisme rationalisé" de la Cinquième République, c’est-à-dire d’un pouvoir d’initiative réservé au seul gouvernement. Il y a d’ailleurs eu, dans l’histoire récente, des propositions de loi cruciales dans le champ de la santé : la loi Neuwirth, en 1967, a été une étape clé en matière de contraception ; la loi Léonetti en 2005, et la loi Leonetti-Claeys en 2016, ont constitué des avancées majeures sur la fin de vie.

​Pour autant, on ne saurait forcément se satisfaire de l’effervescence brouillonne actuelle.

Les motivations du recours aux propositions de loi sont multiples : volonté d’exister de certains parlementaires (avec l’assentiment du gouvernement parfois), souci d’avancer plus vite et plus loin que ne l’assumerait le gouvernement, initiative partisane ou trans-partisane sur un sujet symbolique ou pressant (c’est le cas de l’inscription dans la constitution de l’IVG ou des initiatives sur les déserts médicaux), comblement d’une lacune entre les lois de santé qui interviennent sur une fréquence longue et les lois de financement de la sécurité sociale qui ne sauraient traiter valablement de certains sujets non-financiers, confusion – consciente ou non – quant à ce qui relève de la loi ou du règlement…

Les motifs sont nombreux mais le recours aux propositions de loi et leurs chances d’aboutir ne sont pas homogènes dans le temps. De quoi sont-elles aujourd’hui le signe et quelles sont les limites de l’exercice ?

De l'importance de préserver des espaces de négociation

Les exemples cités plus haut parmi les PPL actuelles sont assez caractéristiques.

La PPL sur les études de maïeutique a traversé le temps : introduite en fin de législature précédente, elle a abouti récemment, sur la base d’un consensus trans-partisan sur la refonte des études de sage-femme et la revalorisation du statut de ces professionnels. Cela passe notamment par la création d’une 6e année de formation (promise par le précédent ministre de la Santé) et l’intégration à terme de cette formation au sein des UFR de santé. Les représentants de la profession et des étudiants s’en réjouissent. Un rapport cosigné par l’IGAS et l’IGESR avait préparé le terrain. Mais fallait-il vraiment retirer la compétence en la matière aux régions, sans concertation aucune avec elles et sans étude d’impact, sans réfléchir surtout à une alternative innovante ? Le sujet n’avait en effet pas été valablement traité dans le rapport des inspections. Il n’a pas bénéficié d’une instruction préalable ou de l’avis du Conseil d’Etat. Les PPL peuvent parfois générer des formes d’emballement peu souhaitables.

​La PPL Rist fait couler beaucoup d’encre. Votée à l’Assemblée nationale, elle est aujourd’hui soumise au Sénat, enclin à en limiter la portée. Lisa a eu souvent l’occasion de promouvoir les pratiques avancées et l’octroi de prérogatives renforcées aux professionnels ayant bénéficié d’une formation en pratique avancée. Nous avons eu aussi l’occasion de défendre le principe de l’accès direct pour les professionnels paramédicaux. Nous ne sommes donc pas susceptibles d’être rangés parmi les opposants aux évolutions afférentes de l’organisation des soins.

Mais comment ne pas comprendre les préoccupations des syndicats médicaux ballottés entre LFSS 2023 et PPL Rist, au moment même où se négocie la convention médicale ? Nous apporterons au cours des prochaines semaines notre contribution sur le sujet des conventions passées par l’Assurance maladie mais reconnaissons d’ores-et-déjà l’importance de préserver cet espace de négociation et de mieux articuler les initiatives des pouvoirs publics : au gouvernement de fixer la stratégie en matière d’organisation des soins et le cap, à l’Assurance maladie de décliner ceci dans le champ conventionnel en termes de tarifs, d’outils et de règles. Jouer la partition de l’accessibilité aux soins sur deux scènes différentes n’est ni vraiment cohérent, ni opératoire.

Rien à gagner de la confusion des rôles

La PPL "Bien vieillir" répond à un autre objectif : corriger les carences des pouvoirs publics sur le sujet de la prise en charge du grand âge par le biais d’une initiative parlementaire. Nous nous sommes très souvent exprimés sur les contours de la loi grand âge que nous appelons de nos vœux. On comprend que les parlementaires aient le souhait de "cranter" quelques moyens complémentaires et de réaffirmer les droits des usagers des Ehpad à cette occasion.
La PPL en question n’est donc pas une initiative malvenue mais le gouvernement ne saurait se ranger derrière cette seule initiative pour s’exonérer de ses responsabilités au moment d’aborder cette transition démographique cruciale pour notre système de prise en charge et la vie dans la cité. Comme nous l’avons dit très souvent, il nous faut outiller sérieusement la prévention de la perte d’autonomie, refondre les prestations et les rendre plus équitables, rebâtir la programmation d’une offre nécessairement diversifiée, revoir la gouvernance financière État-départements, apporter des moyens nouveaux, à travers la 5e branche et au-delà de celle-ci. Une vraie et belle ambition à construire. Une PPL ne saurait porter seule un tel projet.

Il nous faut outiller sérieusement la prévention de la perte d’autonomie, refondre les prestations et les rendre plus équitables

​La PPL "Jomier" sur les ratios de soignants ouvre une autre question passionnante : faut-il créer une sorte de droit opposable en matière de prise en charge à l’hôpital et en Ehpad pour mettre sous tension/pression le système d’acteurs hospitaliers et sortir des accommodements avec la pénurie. Nul doute que ce type d’idée, ce type d’initiative a pour vertu de mettre en mouvement les acteurs : si le constat des taux de vacance des emplois dans les services et le risque de fermeture des services ne suffisaient pas, il est évident que la contrainte juridique poussera à l’action en matière de constitution et de maintien des ressources RH, ne serait-ce que pour éviter ce genre de dispositif. Il n’empêche qu’une telle évolution mérite un large débat et une étude d’impact sérieuse. Remplacera-t-on demain la T2A à la faveur d’une proposition de loi ?

​Redisons-le : les PPL peuvent porter des évolutions bienvenues… même si ce n’est pas toujours le cas et si le vote trans-partisan ne garantit rien en la matière.

​Notre préoccupation est avant tout de méthode : bien des sujets sous revue méritent une vraie concertation, des études préalables robustes, la définition d’une stratégie claire, dans certains cas une programmation financière pluriannuelle.

​Le Parlement a tout son rôle à jouer dans l’écoute des parties prenantes, l’évaluation des politiques, l’évolution des textes qui lui sont soumis et le contrôle de l’action du gouvernement mais on n’a rien à gagner de la confusion des rôles.

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