Après une année à l’université, Élodie Montaigne n’est pas séduite par les études de médecine… Heureusement, car, en cas contraire, elle ne serait jamais devenue infirmière ! Et encore s’est-elle donné le temps de la réflexion pour négocier ce nouveau tournant. "J’hésitais. J’avais sans doute un peu peur de ne pas faire le bon choix", se souvient-elle. C’est son premier stage hospitalier qui emportera sa décision. Infirmière elle sera. Et s’inscrit ainsi dans les pas de sa mère, infirmière libérale à Paimpont, petit bourg situé au coeur de la mythique forêt de Brocéliande où vit la famille. Mais pas trop quand même... "À l’époque, je n’avais pas envie de devenir libérale, pas plus d’ailleurs que de travailler à l’hôpital." En 2003, dûment diplômée, c’est pourtant au centre hospitalier de Ploërmel, dans le Morbihan, qu’elle prend poste.

Rapidement, à l’occasion d’une restructuration, Élodie Montaigne opte pour le service de nuit. "La nuit, c’est un autre univers, d’autres soins, une autre relation qui se noue avec les patients mais aussi avec les collègues. En plus de jouir d’une plus grande autonomie, on a aussi davantage de temps pour être plus attentif à l’autre, plus à son écoute." Et ce temps "en plus" se traduit par plus d’humanité. Une valeur essentielle pour la jeune soignante. Après six années passées en chirurgie puis en médecine polyvalente, elle saute malgré tout le pas vers le libéral et rejoint le cabinet infirmier maternel. Une situation qui, de prime abord, semble confortable mais engendre aussi son lot de difficultés. "Outre le fait que ma mère et moi n’avions ni la même formation ni la même façon de travailler, il a fallu que je trouve ma place pour ne pas rester 'la fille de', notamment auprès de ses patients dont je connaissais certains depuis l’enfance. Ce qui pose aussi la question de la juste distance avec ses patients, mais je crois que cette interrogation est permanente et qu’elle taraude nombre de soignants…" Côté pratique, le fait de ne pas avoir à constituer sa clientèle lui libère l’esprit mais aussi un bien précieux : du temps.


Une belle rencontre

En 2015, Élodie Montaigne décide d’intégrer le diplôme inter-universitaire de gérontologie de Rennes-Brest afin d’affermir ses compétences et sa pratique dans la prise en charge de sa patientèle âgée – quelque 50 % de ses patients ont aujourd’hui plus de 75 ans. Dès lors, tout s’enchaîne. Concomitamment, elle présente une validation des acquis de l’expérience (VAE) à l’université Pierre-et-Marie-Curie [aujourd’hui Sorbonne Université, NLDR] afin d’obtenir un master 1. Validation qui lui est accordée. Soutenue par ses ex-enseignants du DIU, le Dr Aline Corvol, gériatre, et le Pr Dominique Somme, tous deux praticiens au CHU de Rennes, elle s’inscrit dans la foulée en master 2 "Expertise en gérontologie, option pratique avancée". "Faire un DIU en tant que libérale n’a rien d’évident. On débarque de son cabinet alors que la plupart des autres professionnels travaillent à l’hôpital ou en structure, bref le plus souvent en équipe. Le Dr Corvol et le Pr Somme ont été des rencontres importantes dans mon parcours. D’une part, parce qu’ils sont très impliqués dans le développement des sciences infirmières et, d’autre part, parce qu’il a été à la fois stimulant et rassurant de me sentir épaulée par eux."

Cette période intense va également révéler à la soignante son appétence pour les études et singulièrement pour la recherche. Ainsi, en 2018, lorsque l’université de Rennes crée son premier master de pratique avancée, naturellement, le trinôme est chargé de lui donner corps. Dès lors, l’infirmière fait le choix de partager son temps entre l’université, comme coordinatrice pédagogique du master, et son cabinet, qui est membre de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Brocéliande, située à Plélan-le-Grand et dont l’activité a débuté il y a une huitaine d’années. Là, son expertise infirmière en gérontologie est souvent sollicitée puisqu’elle est également référente du Plan pour les personnes à risque de perte d’autonomie (Paerpa) sur son territoire. "Tout professionnel de la MSP peut me saisir, mais le plus souvent c’est le médecin généraliste qui me demande d’évaluer une personne âgée lorsqu’il repère chez elle une fragilité clinique gérontologique qui potentiellement pourrait la conduire à une situation de perte d’autonomie, tels les troubles cognitifs, les troubles de l’humeur, des chutes répétées..."

Or il suffit parfois de peu pour ne pas basculer dans une situation de dépendance dont on sait qu’il sera difficile de sortir ensuite, et dont on connaît également le lourd poids social et économique. "C’est tout le sens de mon évaluation à domicile qui permet d’objectiver une situation via des critères éprouvés et des tests standardisés et, le cas échéant, de proposer un plan personnalisé de santé qui peut mobiliser un ou plusieurs soignants de la MSP, afin d’éviter ou de retarder l’entrée en dépendance, souvent irréversible. Et nous pouvons aussi activer d’autres ressources du territoire. Ici, nous avons la chance de pouvoir faire appel à l’expertise de l’équipe mobile de géronto-psychiatrie rattachée à l’hôpital psychiatrique de Rennes. Sachant que les troubles dépressifs mal diagnostiqués et mal pris en charge sont un marqueur majeur d’entrée en dépendance chez la personne âgée, ce dispositif est un réel plus pour les patients et pour les soignants."

La MSP a également mis en place des groupes de travail thématiques ouverts à l’ensemble les libéraux du territoire et dans lesquels Élodie Montaigne s’est naturellement investie – notamment ceux ayant trait au maintien à domicile et à la gérontologie. "C’est un fonctionnement très dynamisant dont le but est d’harmoniser les pratiques professionnelles. Nous échangeons par exemple sur la prise en charge des plaies complexes, la réalisation d’un bilan holistique ou encore la mise en place de consultations conjointes."
 

Courroie de transmission

Autre activité stimulante, celle d’assurer depuis deux ans la co-coordination pédagogique des masters 1 et 2 de pratique avancée et d’y enseigner notamment les méthodologies de recherche en soins infirmiers. "Nos étudiants, qui ont en moyenne quinze ans de métier dans la profession infirmière, ont été formés sur un référentiel déjà ancien et éloigné du cadre universitaire. De fait, ils n’ont pas forcément intégré que les sciences infirmières sont une discipline à part entière et que les recherches qui y sont liées se doivent de répondre aux mêmes critères de validité et à la même rigueur que les autres disciplines scientifiques. Et c’est l’ensemble de cette démarche et de cet esprit que je m’efforce de transmettre de manière très horizontale car nos étudiants sont aussi des collègues et j’apprends aussi beaucoup de leur expérience et pratique", explique celle qui confie "ne plus soigner comme avant" depuis qu’elle a elle-même passé son master.

Malgré un emploi du temps chargé, Élodie Montaigne est aussi une jeune maman et songe sérieusement à entamer un doctorat. En attendant, elle se nourrit volontiers de la lecture de travaux sociologiques et anthropologiques. "Ces disciplines scrutent très souvent la profession infirmière et l’hôpital. Cela ne peut qu’aiguillonner l’infirmière que je suis."

Bio express

2003 : obtient son diplôme d'Etat d'infirmière

2009 : rejoint un cabinet d'infirmières libérales

2015 : intègre le GIU de gérontologie de Rennes-Brest

2016 : entame une VAE afin d'obtenir un niveau master 1

2017 : obtient un master 2 « Expertise en gérontologie, option pratique avancée », à l'université de Rennes. 

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