L’histoire familiale de Jean Godard est intrinsèquement liée à celle de son territoire, le pays de Caux, en Normandie. Issu d’une longue lignée d’agriculteurs, le jeune homme d’alors est viscéralement attaché à sa contrée. Au moment de choisir son orientation, la crise agricole frappant, les nouvelles générations délaissent la tradition familiale agraire pour rejoindre d’autres filières : il choisit la médecine générale, une voie toute trouvée pour rester implanté sur son territoire tout en demeurant au service de ses habitants. Il intègre la faculté de médecine de Rouen en 1976, et fait partie quelques années plus tard des quinze premiers étudiants de Normandie à expérimenter un dispositif qui deviendra l’internat, alimentant son sujet de thèse en 1983 : "Les premiers stages auprès du praticien en Haute-Normandie".

Fraîchement diplômé, il choisit d’exercer en 1984 en cabinet de groupe, plutôt qu’isolément, avec deux confrères. Dès le départ, les conditions d’exercice sont difficiles : les visites à domicile et les consultations sans rendez-vous deviennent "ingérables", obligeant les médecins à élargir toujours plus leurs amplitudes horaires, dépassant régulièrement minuit. La salle d’attente est exiguë, l’espace d’accueil des patients saturé. La situation devient intenable sur le long terme.

En 1987, pour faire face à ces difficultés, les trois collègues prennent la décision de mettre en œuvre une nouvelle organisation, qui préfigure les maisons de santé pluriprofessionnelles, telles qu’on les connaît aujourd’hui. Le cabinet est agrandi, passant de 70 à 200 m², et trois infirmières rejoignent l’équipe, transformant un cabinet groupé classique en une démarche novatrice d’interprofessionnalité. Les visites à domicile sont réduites et les consultations se font désormais sur rendez-vous. L’initiative est assortie d’un véritable projet territorial de santé, qui aujourd’hui encore attire de jeunes praticiens. Ces trois premières années d’activité, structurantes pour Jean Godard, lui ouvrent la voie de ses engagements futurs.


"Rendre sa dignité à la médecine générale"

Rapidement, Jean Godard réalise qu’il ne peut pas "se limiter à l’exercice d’un seul métier" d’autant que, pour lui, la médecine générale est davantage une vocation, un engagement, qu’une profession en tant que telle. On le croit sans peine, au vu de l’affection avec laquelle il évoque ses patients : "Mes patients m’ont initié à la vie. J’ai gardé tous mes carnets de consultation, que je relis de temps en temps, et alors toute notre relation ressort : je n’ai pas oublié". Ayant vécu personnellement "la déliquescence de la médecine de proximité, malmenée et ignorée", il décide de s’engager pour "rendre sa dignité à la médecine générale". Il rejoint le syndicat MG France en 1987, où il occupe rapidement des responsabilités locales, puis départementales et régionales.

Parmi ses premiers combats, il cherche à améliorer les conditions d’exercice de la médecine générale afin de développer l’attractivité de la profession, plébiscitant notamment la réduction des visites à domicile et participant à la création d’une maison médicale de garde. Ces engagements alimentent sa réflexion autour du métier : "le médecin généraliste est un médecin de santé publique méconnu, acteur et observateur de la société comme du système de santé et de soins, par sa place à l’articulation du collectif et de l’individuel". Il se passionne pour la santé publique et décide de s’investir dans l’organisation du système de santé. Il délaisse ses responsabilités politiques pour des postes plus techniques, davantage centrés sur l’organisation de nouvelles dynamiques de territoire, et devient responsable du département de santé publique et cancer à MG France.

Si la cancérologie suscite particulièrement son intérêt, c’est d’abord parce qu’une part importante de son activité – environ 20 % - concerne le cancer. Mais c’est aussi pour le caractère transversal de ce domaine, qui porte un potentiel modélisant et fédérateur : face à la gravité pathologique et symbolique du sujet, les acteurs de la santé et du soin n’ont d’autre choix que de rassembler leurs forces autour de cette cause commune, générant des dynamiques qu’on ne retrouvera pas ailleurs. Jean Godard voit dans cette transversalité l’opportunité de créer du dialogue entre professionnels, de décloisonner les exercices, pour redéfinir conjointement l’organisation du système de santé.


Pour une culture partagée en cancérologie

Cherchant à mettre les acteurs en communication, Jean Godard investit d’abord le champ de la formation. Il créé l’Association de formation médicale continue en cancérologie de Haute-Normandie (AFMCCHN), une structure paritaire entre les cancérologues du centre de lutte contre le cancer (CLCC) de Normandie Henri-Becquerel et les médecins généralistes du territoire. Entre 1991 et 2004, 337 médecins généralistes (sur 1 000 médecins généralistes hauts-normands) sont formés en cancérologie, à travers des sessions de cinq jours qui se déroulent au sein même du CLCC. Les formations conjuguent séminaires thématiques et immersion en consultation aux côtés des cancérologues du centre.

Malgré son succès, le dispositif prend fin en 2004, à la suite de la modification des règles de la formation médicale continue indemnisée. Les bénéfices du projet sont cependant considérables : "légitimation du rôle du médecin généraliste dans le domaine de la cancérologie et construction d’une reconnaissance mutuelle entre professionnels sur le territoire". Cette culture d’échange et de confiance entre généralistes et oncologues sera un tremplin pour la création d’autres initiatives locales pluriprofessionnelles en cancérologie. En 2003, Jean Godard cofonde l’association EMMA, structure départementale de dépistage organisé des cancers du sein et colorectaux, où médecins généralistes, radiologues et gynécologues travaillent de concert. Il cofonde en 2011 le réseau régional de cancérologie Onco-Normand, nourri là encore de la culture commune construite lors des opérations de formation médicale continue. "Ce réseau, dont le bureau comprend des représentants de tous les professionnels de santé, est l’un des plus actifs en France pour la mise en place des réunions de concertation pluridisciplinaire [RCP] et des référentiels", souligne-t-il.

Également investi dans la structuration des territoires de proximité, Jean Godard plaide pour "un renforcement des soins de premiers recours, un lâcher-prise de l’hôpital et un recentrage sur ses cœurs de métier". Après avoir créé en 2014 le pôle de santé et de soins Caux Vallée (territoire de 50 000 habitants), il s’est lancé en 2017 dans la plateforme territoriale d’appui (PTA) Caux Dieppe Vallées pour un territoire de 200 000 habitants (130 médecins généralistes, 250 infirmières et près de 200 pharmaciens). 

Bio express

1954 : naît à Torcy-le-Petit (Seine-Maritime)

1976 : débute ses études de médecine à Rouen

1983 : soutient sa thèse

1991 : crée l’AFMCCHN

2003 : crée l’association EMMA

2011 : crée le réseau Onco-Normand

2017 : création de la plateforme territoriale d’appui Caux Dieppe Vallées

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