Une décennie de négociations et d’expérimentations ont permis à l’Assurance maladie et aux quatre syndicats de médecins libéraux (CSMF, SML, MG France et Le Bloc) de signer, le 12 juin dernier, l’avenant 6 à la convention médicale, officialisant la généralisation de la télémédecine qui s’inscrit désormais dans le champ conventionnel. Les modifications apportées à la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) officialisent deux catégories d’actes : la téléconsultation, effective depuis le 15 septembre 2018, et la télé-expertise, dont le déploiement est prévu pour février 2019. Par ailleurs, le 6 décembre, l’Assurance maladie et les syndicats représentatifs des pharmaciens ont signé un avenant à la convention précisant les conditions dans lesquelles les pharmaciens pourront contribuer à la réalisation d’actes de téléconsultation au sein de leur officine.

Les recommandations de la HAS

En amont du déploiement de ces nouvelles compétences médicales, le ministère de la Santé a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) fin 2017, pendant les négociations conventionnelles, "afin de voir si nous pouvions définir des situations cliniques à exclure de la téléconsultation et de la télé-expertise", a rapporté Vanessa Hernando, cheffe de projet à la HAS, lors du congrès de la Société française de télémédecine. Le travail de la HAS a conclu qu’il n’était pas possible d’exclure, a priori, des situations cliniques, et qu’il relève de la compétence des médecins de décider si la situation de chaque patient peut ou non être prise en charge à distance. Une décision qui satisfait le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), comme l’a rappelé le Dr Jacques Lucas, son vice-président, qui défend le rôle du médecin d’apprécier ou non la faisabilité d’un acte de télémédecine en fonction du patient.

La HAS a publié une fiche mémo sur le sujet en avril 2018 avec des critères d’éligibilité à la télémédecine comme l’état clinique du patient ou encore les objectifs de la prise en charge, etc. "Des critères organisationnels, techniques et de mise en oeuvre doivent également être respectés pour assurer la qualité et la sécurité des actes", a rappelé Vanessa Hernando. La HAS prévoit aussi la publication courant premier trimestre 2019 d’un guide sur le bon usage et la qualité des pratiques, avec un focus sur les examens d’imagerie médicale en télé-expertise et téléconsultation. "Le guide va détailler des recommandations génériques, pour les professionnels de santé, qui pourront s’adapter à chaque spécialité médicale et aux patients", a fait savoir la cheffe de projet.

La place clé des patients

Les patients ont d’ailleurs été au coeur de ce congrès et l’accent a été mis sur la formation qu’ils peuvent recevoir pour appréhender au mieux ce nouvel acte de télémédecine qui peut être accompli par le médecin. "La télémédecine est embryonnaire dans notre domaine mais cette pratique est très importante, a indiqué Mina Daban, fondatrice et présidente de l’association Leucémie myéloïde chronique (LMC) France. La préparation des patients est donc fondamentale." 

Comment répondre à ce besoin ? L’association LMC France est, depuis 2016 déjà, dans une démarche de formation des patients avec une offre de e-learning gratuite qui s’inscrit dans une volonté d’intégration du patient et de sa famille. "Les patients atteints d’une LMC sont souvent isolés et la formation en e-learning leur permet de mieux connaître leur maladie et de devenir acteurs de leur parcours de soins", a-t-elle expliqué.

Aux cinq socles de formation déjà présents sur la plateforme d’e-learning – chronicité/observance/qualité de vie, soins de support/apport sur la qualité de vie, droit/social, actualisation et avancées de la recherche – va être ajouté un autre socle sur la télémédecine. "Il s’agit d’une nouvelle manière de soigner les patients qui comporte des exigences toutes aussi importantes que les consultations classiques, a soutenu Mina Daban. Certes, la télémédecine permet un transfert de données, évite les déplacements et permet de pallier les déserts médicaux, mais attention, cet acte ne va pas remplacer le colloque singulier."

Ces téléconsultations sont-elles bien appréciées des patients ? Laurent Glenisson, psychiatre au CHU de Bordeaux, les propose depuis 2015, en psychiatrie principalement auprès de patients en Ehpad, ayant des symptômes du trouble psychiatrique et n’ayant pas nécessairement de suivi. "Les téléconsultations se déroulent assez facilement, a rapporté le médecin. En dehors de ce que cela peut apporter aux résidents de l’Ehpad, le travail avec l’équipe, souvent très motivée pour participer à l’amélioration des troubles des résidents, est très intéressant." Seul bémol dans certains cas : la confidentialité des échanges puisque certains résidents, qui ont des difficultés à parler, ont besoin de l’assistance d’un tiers.

Adapter la formation initiale et continue

En partenariat avec l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) et l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), la Société française de télémédecine (SFT) a lancé, pendant tout le mois de décembre, une enquête nationale sur la formation en télémédecine auprès de l’ensemble des étudiants en médecine de France et des internes. "Le but est d’évaluer les connaissances, les pratiques et les besoins de formation des étudiants et des internes, a fait savoir Robin Ohannessian, coordonnateur du domaine 'Organisations et institutions professionnelles des professionnels en santé' à la SFT. L’enjeu de cette enquête est de mettre l’accent sur la formation initiale universitaire en télémédecine qui ne peut plus être un sujet tabou ou non abordé pendant les études. La télémédecine devient une pratique quotidienne, amenée à se déployer de plus en plus avec le financement des actes. Les professionnels de santé doivent savoir comment se comporter vis-à-vis des patients." 

"L’université possède, de par ses missions, une responsabilité sociale et sociétale qui est d’orienter la formation, la recherche et les services vers les principaux problèmes de santé de notre société, a soutenu Emmanuel Touzé, doyen de l’UFR santé à l’université de Caen. Cela a des conséquences importantes vis-à-vis des usagers. Nous devons les impliquer dans la détermination des besoins et dans l’élaboration des formations pour s’assurer qu’elles y correspondent." Il a d’ailleurs pointé du doigt la problématique de la formation concernant la télémédecine puisque moins de 5 à 10 % des facultés de médecine dispensent une formation sur ces actes. Il y a cependant une prise de conscience, et des réformes devraient voir le jour avec des masters en santé numérique destinés à l’ensemble des professionnels de santé.

La formation vise principalement à informer les praticiens de l’importance de leur présentation vis-à-vis des patients car "80 % de la téléconsultation, c’est du savoir-être", a assuré le Dr Grégory Szwarc, médecin généraliste et formateur à la pratique de la téléconsultation. Un arrêté, paru le 20 décembre 2018, fixe la liste des orientations nationales du développement professionnel continu des professionnels, en matière de télémédecine, a indiqué le Dr Yann-Maël Le Douarin, conseiller technique à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS).

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