Châtillon (Ile-de-France), stade Guy Môquet, 18h56. Les dernières joueuses arrivent tout juste. La séance d'entraînement démarre à 19h et elles ne rateraient le début pour rien au monde. Elles sont déjà en tenue : des vêtements chauds, car le temps se rafraîchit dès la nuit tombée, mais surtout de leur plus beau sourire. Car Rugby cancer, c'est avant tout de la bonne humeur ! "On déconne, on bouge, on peut même parfois s'engueuler, comme toute équipe !", lance l'une des 14 joueuses présentes à cette session du 18 mars. Elles partagent toutes ce dynamisme mais ont aussi un deuxième point commun, car toutes sont atteintes de cancer ou en rémission. Alors, "chacune vient comme elle est, avec ses hauts et ses bas, sa force et ses faiblesses, sa fatigue et son énergie... C'est ce qui fait la richesse de cette équipe pas comme les autres", affirme fièrement une autre joueuse du groupe.  

crédit : Concourspluripro

C'est Valérie Saunal, médecin généraliste à la MSP Cœur de ville de Châtillon, qui est à l'origine de cette initiative. Son objectif était de "permettre une activité sportive différente et adaptée" pour les personnes touchées par la maladie, explique Laura Gouabault, coordinatrice à la maison de santé lancée en 2022. La médecin généraliste explique avoir un "rapport personnel au rugby" : "venant du sud-ouest, je regarde beaucoup le rugby, et mon fils aîné en a beaucoup fait". Valérie Saunal explique avoir eu envie de proposer "quelque chose de différent et de plus tonique que les soins, les massages, etc… habituellement proposés aux patientes en rémission de cancer. C'est très bien tout ça, mais je voulais quelque chose qui bouge"

Elle "suit et accompagne plusieurs patientes atteintes de cancer", affirme-t-elle. S'en suit un véritable travail avec la Ville et le club de rugby de Châtillon qui, depuis 2023, met à leur disposition les locaux, et propose ce créneau du mardi soir. Une cotisation annuelle de 50 euros est demandée aux participantes – pour l'assurance et la licence – qui possèdent donc toutes un certificat médical d'aptitude au rugby santé. Le tout, pour un cours de rugby par semaine, adapté et bienveillant.  

Après quelques bavardages, l'entraînement commence. Jo, le coach formé au sport santé, leur donne un premier exercice à réaliser en binôme : traverser le terrain délimité le plus vite possible, sans se faire rattraper par sa coéquipière mais... sans courir ! Les joueuses rigolent et poussent des petits cris d'effort et de peur d'être rattrapées, car c'est à qui franchira la ligne d'arrivée la première ! Le coach participe également, car si elles sont entre 10 et 15 sportives à chaque cours, pas question de laisser l'une d'entre elles sans binôme pour les exercices.  

Tout autour, la ville commence à s’apaiser alors que l'horizon se teint d'un dégradé d'orange et de violet. Dans le quartier, on n'entend plus qu'elles, leurs rires et leurs joies.  

"Vous êtes prêtes ? C'est parti !", lance le coach. Le deuxième exercice commence : les joueuses sont réparties en deux équipes et doivent se passer le ballon en ligne, dans un sens puis dans l'autre, le plus vite possible. Au terme de plusieurs manches, c'est l'équipe A qui remporte la partie.  

L'exercice suivant implique la coopération générale : positionnées sur deux lignes, les participantes doivent se passer la balle de rugby, en croisé, cette fois. Quelques passes sont ratées, mais à force d'entraînement, elles y parviennent, et de plus en plus vite. À la fin de l'exercice, une pause s'impose et l'équipe va se réhydrater, toujours en discutant. Mais "elles ne parlent pas de la maladie, elles se retrouvent entre elles pour passer un bon moment", explique la coordinatrice. Elles ont des vies différentes, des âges différents et une histoire différente, mais elles ont en commun cette "bulle d'oxygène" comme le décrit Hélène, l'une des joueuses. C'est la deuxième année qu'elle participe à Rugby santé. Toute de rose vêtue – la couleur de l'équipe –, elle raconte : "On est une équipe soudée, chacun fait ce qu'il peut, avec ses moyens physiques. On se soutient, on s'épaule, et on rigole beaucoup. Ce qui est très sympa, c'est que c'est ludique : c'est du jeu, c'est du rugby, mais il y a aussi beaucoup d'exercices qui sont drôles"

"Ça fait du bien"

Elles savourent toutes cette heure très précieuse, toujours dans la bienveillance. Si quelquefois, le coach doit rappeler les règles pendant les exercices, ce sont surtout les encouragements mutuels qui résonnent. "Je rappelle que vous n'avez pas le droit de courir !", "Allez Bernadette", "Bien Hélène, bien attrapé !", "Ouais super, bravo mesdames !".  

Il est 19h45 et bien que les "spots" du stade demeurent le seul point lumineux aux alentours, on peut voir aisément le plaisir dans les yeux des participantes. Car elles se dépensent, tout en s'amusant. "Ça fait du bien, non seulement physiquement, parce que ça renforce le corps, mais aussi moralement, parce qu'on oublie tout pendant qu'on est là", confirme Hélène.  

crédit : Concourspluripro

Le jeu continue et l’équipe rouge est désormais menée 2 points à 1 mais les bleues n’ont pas dit leur dernier mot. L'esprit de compétition règne et chacun donne son maximum. C'est l'idée ici : "venez comme vous êtes et on arrivera toujours à ajuster à l'infini", confirme Laura Gouabault. Tous les exercices sont faits pour être réalisés avec peu ou beaucoup de force, en courant ou en marchant, avec ou sans habileté.  

Des rires… mais du sport aussi !

Un dernier jeu vient mettre à l'épreuve leurs réflexes. Un cercle est créé, et le coach va également jouer ! Il leur explique la consigne : deux ballons de rugby vont circuler dans le cercle, et chaque joueuse doit passer la balle reçue à une autre sportive, tout en restant concentrée sur la deuxième. Objectif : avoir de bons réflexes afin de ne pas faire tomber aucune des deux balles. Celle (ou celui) qui en fait tomber une ou fait un mauvais lancer doit faire un tour du cercle en courant. Très vite, les rires fusent. Et c'est ainsi que s'écoulent les dix dernières minutes de la séance. Finalement, toutes les participantes ont fait au moins un tour de cercle, même le coach Jo !  

Tout en marchant pour aller récupérer leurs affaires, les sportives débriefent : "Tu as vu, à un moment j'ai eu la balle quatre fois d'affilée !", "Moi je retiens qu'on a battu l'équipe des rouges", "Au fait, comment s'est passé ton weekend ?" Elles ne seront assurément pas parties avant encore dix bonnes minutes. "Ça se finit même par un restaurant avant chaque veille de vacances scolaires. Et un loto rugby organisé par le club rugby Chatillon, notre président Éric, les joueurs juniors et seniors et tous les bénévoles !", raconte l'une des joueuses. Une activité sportive pour garder la forme dans le corps et dans la tête... Et toutes le diront, le mardi c'est sacré : "Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, le mardi c'est rugby !"

Le saviez-vous ?

D'après la Ligue contre le cancer, sport et activité physique préviennent la survenue des récidives de 20 à 40 % selon les cancers.  

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