En 2017, 23,2 milliards d’euros ont été affectés à des remboursements liés à la santé mentale par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam)(1). Un chiffre en hausse de 16 % depuis 2012 pour les maladies psychiatriques, et qui en fait le premier poste de dépense de la Cnam, devant les cancers (18,4 milliards d’euros) ou les maladies cardio-neuro-vasculaires (16,6 milliards d’euros).

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les troubles psychiques touchent une personne sur quatre à un moment de sa vie, les classant parmi les causes principales de morbidité et de mortalité(2). En France, le système est tendu dans le domaine des soins aigus, en raison d’un manque de psychiatres et de capacités de consultation et d’hospitalisation. La responsabilité de la prise en charge des troubles psychiques retombe donc souvent sur les professionnels de santé de premiers recours.

Dans le cadre de son programme pluriannuel « Psychiatrie et santé mentale » (2013-2017), la Haute Autorité de santé a publié une fiche mémo et deux recommandations de bonne pratique destinées à améliorer le repérage et le traitement des troubles bipolaires et des manifestations dépressives, chez l’adolescent et chez l’adulte, en soins de premier recours. Mais pas de révolution dans le système de prise en charge.

Les médecins généralistes en première ligne

« C’est cette question de la première approche qui me paraît primordiale à étudier, estime Angèle Malâtre-Lansac, directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne, et qui a notamment étudié le parcours de soins en psychiatrie et son intégration au premier recours à l’université d’Harvard (États-Unis). Les médecins généralistes et les pédiatres assurent 60 % des consultations pour troubles mentaux, et 30 % de leur patientèle souffre d’un trouble psychique, qu’il soit dépressif, anxieux ou autre. Ils sont, en plus, souvent compliqués par des addictions et des comorbidités, responsables d’une diminution de l’espérance de vie de ces patients de quinze à vingt ans. »

« Les médecins généralistes sont à l’origine de 90 % des prescriptions d’antidépresseurs et de 70 % de celles d’anxiolytiques, poursuit-elle. Ils savent prescrire, bien sûr. Mais sinon, ils sont souvent en difficulté face à ces pathologies. » En parallèle, les taux d’adressage entre généralistes et psychiatres est l’un des plus faibles d’Europe, et moins de 6 % des patients adressés à des centres médicopsychologiques l’ont été par des médecins généralistes. « Ils viennent en priorité de l’hôpital. »

Angèle Malâtre-Lansac plaide donc pour un nouveau paradigme de prise en charge globale des patients et une meilleure intégration de la prise en charge psychiatrique dans les soins primaires. Pour elle, le collaborative care model (modèle de soins collaboratifs) est une solution. « C’est une solution parmi d’autres, mais elle a le mérite d’avoir été évaluée : c’est le modèle le plus représenté dans la littérature scientifique, avec plus d’une centaine d’essais randomisés », précise-t-elle.

Le « care manager », centre du dispositif

Le modèle repose sur plusieurs piliers : une prise en charge en équipe pluridisciplinaire centrée autour du patient pour le diagnostic, le traitement et le suivi des patients ; une approche populationnelle et evidence-based medicine, avec l’utilisation de questionnaires standardisés (PHQ-9 pour la dépression, GAD-7 pour les troubles anxieux), ou de manière plus indirecte d’applications mobiles pour le dépistage ; une prise en charge structurée dans le temps, autour d’objectifs précis ; une démarche proactive dans le traitement.

Mais le véritable pilier du système, qui garantit l’organisation du modèle, est le care manager, qui travaille aux côtés du médecin généraliste. « Le care manager est un profil infirmier, de type Asalée par exemple, qui travaille avec le généraliste auprès des patients, sous supervision d’un psychiatre à distance, explique Angèle Malâtre-Lansac. Il exerce en général en coordination auprès d’un groupe de cinq ou six praticiens. »

Il structure la prise en charge et articule les interventions des différents praticiens dans le temps, est responsable d’une part d’éducation thérapeutique pour rendre le patient acteur de son parcours, a une démarche pour s’enquérir régulièrement de l’évolution de son état de santé, organise des revues de cas en concertation avec le médecin généraliste et/ou le psychiatre référent… Il est le lien entre le patient et ses soignants.

« Cette organisation a démontré ses vertus sur la santé mentale, note Angèle Malâtre-Lansac. Elle favorise la détection des troubles psychiques et améliore les résultats de la prise en charge, notamment grâce à une observance thérapeutique bien meilleure. » Pour les professionnels de santé, c’est également la promesse d’un gain de temps médical. « Il y a aussi un enjeu de formation : grâce à l’exercice collaboratif, le psychiatre peut faire monter le médecin généraliste en expertise. »

En temps et en heure 

Le modèle, déjà appliqué aux États-Unis, au Canada, au Chili ou encore en Australie, a-t-il une place dans le système de soins français ? Dans une tendance forte de développement de la prise en charge pluriprofessionnelle, la dimension de travail en groupe prônée par le collaborative care model semble s’insérer parfaitement dans la dynamique poussée par « Ma santé 2022 ».

Du côté des outils administratifs, on peut imaginer une prise en charge classique, avec un assistant médical spécialisé ou une infirmière en pratique avancée qui prendrait le rôle de care manager, combinée à des actes de téléconsultation et de télé-expertise pour les psychiatres. Les MSP et les CPTS pourraient aussi représenter un terrain d’essai privilégié pour sa mise en place, dans le cadre d’une expérimentation « article 51 » ou de la création d’un protocole pluriprofessionnel. Il permettrait d’inclure une infirmière spécialisée comme care manager, des médecins généralistes, un psychiatre mais aussi d’autres professionnels de maisons de santé, comme les psychologues. Il ne reste plus qu’à faire des propositions.

1. Tous régimes d’assurance maladie, Cnam, 2019.

Un système plus performant et moins coûteux

Une caricature du système de prise en charge de la santé mentale en France pourrait se présenter ainsi : peu de dépistage, retards de prise en charge, des médecins généralistes qui n’ont pas toujours la formation ou le temps de gérer les maladies mentales, surconsommation médicamenteuse, trop de recours aux urgences psychiatriques. Une caricature pas tellement éloignée de la réalité, qui présente deux inconvénients majeurs : une qualité de prise en charge faible des points de vue individuel et populationnel, et un coût de prise en charge élevé.

La promesse des défenseurs du collaborative care model est celle d’une meilleure prise en charge médicale et médicoéconomique. L’Association américaine de psychiatrie a commandé une étude sur l’impact économique potentiel d’une prise en charge intégrative des troubles psychiques. Cette étude, réalisée par le cabinet Milliman, compare les coûts de prise en charge des patients chroniques avec celle des patients chroniques souffrant de surcroît d’une pathologie mentale  ou d’une addiction. Le résultat : une économie annuelle estimée entre 38 et 68 milliards d’euros par an, soit entre 16 et 28 % des dépenses engagées pour la santé mentale aux États-Unis.

L’étude  s’est même amusée à comparer les gains en termes de coût  de la main-d’œuvre : avec plus de 37 000 psychiatres et  106 000 psychologues, gagnant respectivement en moyenne 200 000 et 84 000 dollars par an, les économies réalisées en cas de généralisation du collaborative care model (ou d’une prise en charge intégrative des patients) couvriraient entre 2,3 et  4,1 fois leurs salaires combinés. « En d’autres termes, même si les effectifs de psychiatres et de psychologues étaient doublés pour soutenir une multidisciplinarité effective des programmes de soins intégratifs, les économies générées par ces programmes compenseraient largement l’investissement », concluent les auteurs du rapport.  

Source : Potential economic impact of integrated medical-behavorial healthcare (2018). 

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