Si la loi du 4 mars 2002 (loi Kouchner) reconnaît les droits du patient*, devenu acteur de sa prise en charge, celles du 21 juillet 2009 (loi HPST) et du 26 janvier 2016 (loi de modernisation de notre système de santé) posent toutes deux des orientations pour une nouvelle organisation avec un fort accent sur le rôle du patient. Ce que prévoit « Ma Santé 2022 » ? « Mettre le patient au centre » en l’impliquant dans la formation initiale des soignants, en mesurant sa satisfaction et son vécu des soins, et en passant « d’une approche en silo à une approche centrée sur [ses] besoins ». Objectif : passer d’un patient-objet à un patient-sujet. Car la maladie chronique peut aussi être « source de développement, occasion d’apprentissages et d’acquisition de savoirs issus du vécu, savoirs qui peuvent être utiles à la société et au système de santé »

Du singulier au pluriel 

Longtemps réduit au rôle d’objet du soin – le mot « patient » vient d’ailleurs du latin patiens « souffrir, endurer » –, le patient est aujourd’hui expert, partenaire, aidant, ressource, accompagnateur, formateur... Un changement de posture et une multitude d’appellations qui témoignent de la diversité des champs d’action potentiels : « Le vécu du patient apporte un point de vue complémentaire à celui des professionnels de santé. En tenir compte est une nécessité pour que notre système de santé évolue vers plus de démocratie », précisait Agnès Buzyn en 2016, alors présidente de la Haute Autorité de santé (HAS). Ce nouveau profil vient ainsi bouleverser la « relation bilatérale entre le patient et le médecin » : « le colloque [singulier] devient pluriel ».

La participation du patient est une obligation légale, rappelle  Catherine Étienne, membre fondateur de l’Association nationale pour le développement de l’approche du pouvoir d’agir. En France, poursuit-elle, on en reconnaît quatre registres : informer, consulter, se concerter et coproduire. Une coconstruction qui, pour Delphine Blanchard, patiente partenaire depuis 2018, est « indispensable » : « Elle permet de résoudre le problème de perte de sens dont parlent souvent les professionnels. Élaborer un projet avec le patient aide à reprendre contact avec l’essence même de son métier. »

Atteinte d’une insuffisance rénale, Delphine Blanchard s’est formée à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) en 2014 pour « arriver à me situer dans l’univers du soin dans lequel j’évolue. Et aussi déconstruire l’image que j’avais des soignants : ce ne sont pas tous des méchants », dit-elle en souriant. Son blog, Patiente (im)patiente, a été lancé en 2016 pour « parler des expériences, positives et négatives, avec le monde des soignants, qui m’ont touchée, affectée, blessée, réjouie (…) Quand j’écris, je me rends compte que je tends vers le collectif ». Ses « billets » sont aujourd’hui utilisés dans certains cours de médecine générale et de soins infirmiers pour amener les étudiants à construire un projet de soins « afin d’éviter des situations comme celles que j’ai vécues ». 

Partenaire ou expert ?

Hugues Lefort, chef des urgences de l’Hôpital d’instruction des armées Legouest, et Thérèse Psiuk, ancienne directrice des soins, ont réalisé, dans le cadre de l’ouvrage Patient partenaire, patient expert, de l’accompagnement à l’autonomie, une enquête sur les représentations des patients, des proches aidants et des professionnels de santé. Il en ressort que le patient partenaire suppose une « véritable alliance thérapeutique soignant-soigné », soulignent les auteurs en s’appuyant sur les 157 réponses recueillies : « Il parle aux soignants, particulièrement ceux qui n’écoutent pas parce qu’ils n’en prennent pas le temps » ; « Il est partenaire – ou bien ne sommes-nous pas plutôt son partenaire ? – pour exprimer la compréhension qu’il a de la situation, ses priorités, ses attentes. »

Le patient expert, seul terme reconnu par la HAS, amène la notion de connaissance et de compétence. Une « ressource éducative » tant pour les autres patients que pour les soignants car celui-ci « connaît bien le système médical et toutes ses contradictions, reste très vigilant sur ce qu’on lui fait, tout en prenant du recul sur tout ce qu’il peut lire sur internet », précisent les auteurs. « Je suis devenu patient expert un peu sur le tas », explique Jean-Luc Plavis, avant de s’empresser de rectifier : « Mais je préfère le terme “acteur du rétablissement”. Car le mot pose deux problèmes : “patient” a une étiquette très médicale, et “expert”… mais expert de quoi ? de sa propre pathologie finalement. Un terme qui peut d’ailleurs faire peur », explique le coordinateur régional Île-de-France de France Assos santé qui a créé en 2016, avec un médecin et un pharmacien, la MSP des Chênes à Suresnes : « J’ai une maladie de Crohn depuis plus de trente ans, et je porte une stomie définitive. Aujourd’hui, je préfère accompagner des patients complexes, en situation de psychotraumatisme, notamment sur le vivre-avec, dans sa dimension sociale, familiale, professionnelle, médicale, etc. »

De l'expérience à l'expertise

Si l’usager a intégré depuis quelques années l’évaluation et la certification des établissements hospitaliers – notamment à travers la notion de patient traceur –, son implication dans les soins primaires est encore balbutiante. D’ailleurs, pourquoi le faire participer ? « C’est la première question à se poser, avance Catherine Etienne. Est-ce pour donner de la légitimé aux politiques publiques ? pour prévenir ou désamorcer des conflits ? pour rendre des dispositifs plus adaptés aux besoins ? pour responsabiliser des usagers jugés trop passifs ? » D’autant qu’il faut aussi s’interroger : a-t-il vraiment envie de participer ? « Globalement, il en a envie… mais à d’autres moments, il a simplement envie de se laisser porter par l’équipe. Et il faut respecter cela », explique le Dr Xavier de la Tribonnière, responsable du DU sur le partenariat patient-soignant au CHU de Montpellier. « Il y a différents types de participation. Et il ne faut pas rechercher la coproduction à tout prix. Mais plutôt s’interroger sur les objectifs à atteindre », répond, pour sa part, Patrick Vuattoux, médecin généraliste à la MSP Saint-Claude (Besançon).

À 53 ans, Laure Poasevara a été diagnostiquée tardivement d’une sclérose en plaques. Aujourd’hui doctorante au Cnam laboratoire FAP et patiente-enseignante à la faculté de médecine de Créteil, elle intervient auprès des étudiants du 3e cycle, en binôme avec un médecin enseignant sur trois modules : communication, ETP et approche globale : « L’idée est d’amener les internes à s’interroger sur leurs pratiques en apportant la perspective patient dans les mises en situation, d’introduire la dimension émotionnelle et globale du patient. Que ressens-tu, quand toi, soignant, tu dois annoncer une mauvaise nouvelle ? En développant une réflexion sur soi, on peut en amorcer une sur autrui. Nous avons tous à y gagner. »

« Les patients sont une ressource de connaissances et il est important de les former afin de transformer leur expérience en expertise », insiste Catherine Tourette-Turgis, enseignante-chercheure et fondatrice de l’Université des patients qui a formé plus de 200 patients en dix ans… qui, pour certains, ont été recrutés par des structures, précise-t-elle : une patiente coordinatrice des parcours migrants à l’institut Curie et un autre aux Hospices civils de Lyon… Un choix motivé par « le simple fait de collecter leur expérience. Mais aussi d’être capable d’orienter le parcours de soins selon la perspective patient et non simplement organisationnelle », précise-t-elle. 25 % de ses patients apprenants sont adressés par une équipe soignante, à l’instar de l’équipe d’oncologie médicale de l’hôpital Tenon (AP-HP) : « Deux de nos patients ont suivi la formation. Des patients atteints de cancers graves, guéris, et qui font preuve d’une incroyable énergie. L’une a rejoint notre club Aquadémie Paris Plongée et l’autre a créé une association : le Fight Club Cancer. Ayant été confrontés à la maladie et ayant touché du doigt le langage médical, cette formation leur permet maintenant d’accompagner les autres patients dans ce long chemin qui doit les mener eux aussi vers la rémission et espère-t-on la guérison ! », lance le Pr Jean-Philippe Lotz, le chef de service. 

Quelle place ?

Au CHU de Montpellier, le DU « Se former au partenariat patient- soignant » accueille, depuis 2017, environ 26 participants chaque année dont une majorité de patients. « L’objectif, explique le Dr Xavier de la Tribonnière, est de développer le partenariat entre des soignants et des patients qui veulent s’investir davantage dans l’aide apportée aux autres malades. Ce nouveau concept de partenariat, souvent déficitaire, doit diffuser. » Les deux modules proposés – ETP et co-enseignement – sont les champs d’expérience choisis pour dessiner cette figure du patient partenaire. Le recueil de leur parole, poursuit-il, permet entre autres de valider « si les missions de soins et d’éducation qu’on s’est fixées en équipe correspondent aux besoins réels ».

Ainsi, au centre de santé associatif La Place Santé à Saint-Denis, Gwanaëlle Ferre, la coordinatrice santé, organise, le lundi matin, un petit déjeuner avec les usagers. Objectif : discuter des projets, de l’actualité du quartier et des questions de santé. « Il faut accepter d’être bousculés et de revoir nos propres représentations », explique-t-elle. Marie-Christine Petit est usagère à la MSP Saint-Claude. À la retraite depuis huit ans, elle a décidé de travailler aux côtés de l’équipe sur la sortie d’hospitalisation. « Je rencontrais de plus en plus de personnes en difficulté et j’ai proposé un questionnaire portant sur le vécu du séjour et de la sortie », explique-t-elle. Objectif : récolter suffisamment de témoignages pour rencontrer l’association des usagers du CHU de Besançon et réfléchir aux améliorations possibles. « Le médecin, l’infirmière ou le pharmacien proposent au patient de nous rencontrer, à son domicile ou dans une salle mise à notre disposition à la MSP. » Une quinzaine de réponses ont déjà été recueillies.

Quelle parole ?

Avant d’intégrer un usager au sein de sa structure, quatre éléments doivent être envisagés, explique Brigitte Alvarez, responsable développement santé à la Mutualité française Pays de la Loire.

> Comment lui faire une place ? « Il faut tout d’abord quitter la représentation verticale. Accepter d’être décoiffé, accepter que ce patient ne soit pas forcément toujours très agréable, accepter qu’on puisse aussi se tromper parfois. »

> Comment faire ? « Lui trouver la juste place mais aussi se poser la question de la limite car tout n’est pas à faire avec l’usager. »

> De quoi aurions-nous besoin ? « D’outils qui permettent d’offrir des conditions d’écoute active. Adopter une posture d’accompagnement. Et accepter de se montrer en tant que personne avant de porter la casquette du professionnel… »

> Comment collecter sa parole ? « Il faut prendre le temps et ne pas se brusquer ou brusquer l’autre. Une chose simple déjà : partager les toilettes avec le patient. » Un décloisonnement des rapports qui peut freiner les professionnels de santé, encore peu habitués à « aller chercher le ressenti du patient, précise Pascal Jarno, médecin de santé publique. Déficit de formation, poids culturel et social, questionnement sur son identité professionnelle… Ces freins sont assez récurrents car on revient sur une manière de voir le soin et de concevoir son organisation. On passe d’un système plutôt descendant à une relation plus partenariale. Mais on ne peut pas demander aux professionnels d’opérer ce changement si le système n’évolue pas : il faut des ressources et des compétences ainsi que des organisations adaptées. »

Comment faciliter cet engagement ? La HAS a récemment mis en place un groupe de travail afin de « proposer des pistes pratiques et des repères pour construire des relations partenariales entre professionnels et usagers, explique Joëlle André-Vert, cheffe du service engagement des usagers. Il s’agit aussi d’interroger les notions de représentation et de participation des usagers ». Coprésidé par le Dr Jarno et Marie Citrini, représentante des usagers, le comité comprend 9 patients (ou personnes accompagnées) et 9 professionnels de santé, et sera accompagné par des chefs de projet de la HAS. « Nous allons coconstruire des recommandations afin d’apporter des outils aux équipes. Et avons demandé le retour d’expérience des réseaux et des structures pour les élaborer », explique Pascal Jarno. Les premiers résultats devraient être publiés courant 2020.

Interroger le patient sur les soins reçus ou l’organisation peut bousculer les pratiques mais « si on veut améliorer la prise en charge, il faut miser sur ce partenariat, que ce soit dans le soin, dans l’organisation ou la gouvernance », insiste-t-il. Profitant de sa double casquette de médecin hospitalier (CHU de Rennes) et de médecin coordinateur de la structure d’appui Capps Bretagne, une formation sur le partenariat usagers-professionnels est actuellement mise en place avec France Asso Santé Bretagne coanimée par des professionnels et patients. De même, un groupe usagers-professionnels existe depuis un an à la faculté de médecine pour intégrer des patients dans les enseignements, et une évaluation faite par les usagers auprès des usagers sur les niveaux de soins a été expérimentée au niveau régional dans le cadre de la campagne « Choisir avec soins ».

Une étude doit aussi être lancée sur la région pour interroger les pratiques de partenariat. Finalement, quelle place pour le patient au sein de l’équipe ? « En tant que professionnel de santé, il s’agit d’“être avec” et de “faire avec”. Et non “faire à la place de” », précise le Dr Pascal Gendry, président d’AVECsanté. Car une participation bien réfléchie et effective entre soignants et soignés permet « une connaissance plus fine des besoins, des services et fonctionnements, plus de dialogue, un enrichissement mutuel… », assure Catherine Etienne. Une façon de repositionner le patient, le seul à vivre « dans sa chair sa pathologie » et à posséder cette expertise, comme l’explique Jean-Marc Blanc, directeur de la Fondation i2ml. Un patient « coauteur » de son parcours de soins.   

*Tendance sociétale dont l’élément fondateur  en France a été la tenue des États généraux des malades du cancer, en 1998, à l’initiative de La Ligue nationale contre le cancer.

Lettre à mon soignant

Je me sens frustré quand :  

> je sens que la routine des papiers prend le pas sur  le relationnel humain  

> je me sens réduit à une pathologie, un syndrome,  un créneau d’âge…  

> je suis systématiquement associé à des médicaments et une ordonnance d’orientation

> la réponse à mes questions ne me semble pas toujours adaptée

> j’ai le sentiment d’être pris pour un « enquiquineur » parce que je cherche à comprendre

 

Je me sens épaulé quand :  

> je vois qu’il y a du lien réel entre les différents acteurs  

> je peux m’expliquer et que le soignant valorise mes ressources et mes capacités  

> il est moins protocolaire et davantage dans le relationnel  

> il utilise une information et un vocabulaire adaptés et concrets  

> il me demande comment je supporte mon traitement pour en affiner la réévaluation  

> il écoute et reconnaît mes actions et peut véhiculer vers les autres patients les trucs, astuces et ressources que je lui rapporte
 

Texte écrit par les patients de l'association de post-réhabilitation respiratoire de Montpellier, lors des ateliers « remue-méninges ».

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