"Soins ambulatoires et à domicile : un virage essentiel". La thématique n’est pas nouvelle. Qu’attendez-vous de ce nouveau rapport publié le 9 février dernier ?

Effectivement, le sujet n’est pas nouveau. On le dit d’ailleurs dans notre rapport, qui présente un historique du déploiement du virage ambulatoire en France, initié au milieu du XXe siècle avec notamment la création des premiers hôpitaux de jour et dont l’objectif était de sortir de l’approche hospitalocentrée du système de santé. Ce rapport aborde dans un premier temps le virage ambulatoire, mais on parle aussi de « virage domiciliaire », car tous deux sont très liés : l’un vise à limiter le temps passé à l’hôpital ou dans un établissement de soin et à favoriser le retour à domicile des patients plus rapidement, et l’autre de permettre et de faciliter les prises en charge directement au domicile des patients. On a voulu parler de ces deux sujets parce qu’on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de rapports sur le virage ambulatoire mais peu qui abordaient les deux… L’approche domiciliaire est nouvelle et c’est vrai qu’avec l’actualité autour de la crise sanitaire, on a beaucoup parlé des soins à domicile, parce que c’est devenu une nécessité et une obligation pour assurer le suivi de certains patients chroniques.
 

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On a interrogé de nombreux professionnels de santé, notamment des infirmières libérales faisant partie de la plateforme libheros, et l’un des constats a été qu’en conséquence de l’offre de soins peu lisible, les hôpitaux ne savent pas toujours vers quelle structure se tourner pour que le retour à domicile se passe dans les bonnes conditions de sécurité et sans risque de réhospitalisations dans les 24 ou 48 heures. Ces deux notions doivent fonctionner de pair. C’est d’ailleurs ce qui fait que le patient est serein quand on lui dit qu’il peut rentrer chez lui après une ablation de la prostate par exemple parce qu’une infirmière va passer le voir dans 2, 4 jours et 6 jours, et qu’il verra le médecin en téléconsultation dans 10 jours par exemple. C’est tout l’enjeu de la bonne coordination entre l’hôpital et le domicile.

 

Pourquoi peine-t-on aujourd’hui à aborder pleinement ces virages ?

Cela coince à plusieurs endroits. Déjà un chiffre, qui date de 2019 : la durée moyenne de séjour à l’hôpital en France est de 8,8 jours alors que la moyenne dans les pays de l’OCDE est de 7,6 jours et qu’elle est autour de 5 jours aux Pays-Bas et en Suède. Certes, cette durée de séjour peut s’expliquer par plusieurs facteurs qui ne sont pas nécessairement liés à des questions de dysfonctionnement du système de santé français, bien sûr, mais on a mis l’accent sur 4 principaux enjeux.

Il y a tout d’abord le manque de coordination entre les acteurs de santé (le virage ambulatoire ne peut bien se faire que si le retour à domicile est co-coordonné) et le peu de connaissance des autres acteurs du système de santé entre la ville, l’hôpital et les soins à domicile. Mais aussi, un recours insuffisant aux outils numériques et des modèles de financement peu incitatifs. Car avec la tarification qui reste majoritairement à l’acte, chacun reste encore dans son « couloir de nage », ne permettant pas une approche par parcours de soins.
 

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Il y aussi le sujet de la formation des professionnels de santé qui, à ce stade, est insuffisamment tournée vers l’ambulatoire. Alors que c’est un levier majeur de transformation capable d’impulser une nouvelle culture de travail en collectif. Il faut noter aussi que les patients restent encore en retrait de l’organisation des parcours de santé. On a, à la fois, un vieillissement de la population et une explosion des maladies chroniques et donc de plus en plus de patients qui connaissent leur maladie et savent bien s’autosuivre en lien évidemment avec le médecin traitant. Il faudrait davantage capitaliser sur cette expertise patient dans le cas par exemple de l’acceptabilité de certains traitements ou de la mise en place de dispositifs de télésurveillance. On peut aller plus loin là-dessus en France.

Parmi les six pistes "pour engager notre système de santé dans de nouveaux parcours de soins", vous recommandez la construction d’"espaces d’exercice coordonné", sorte de "guichet unique" proposé aux patients. Quels seraient les contours de ces espaces ?

On a utilisé ce terme « espace » parce qu’on n’a pas voulu se prononcer trop précisément sur la forme qu’il devait revêtir. Aujourd’hui, qu’on se trouve dans une zone plus rurale ou plus urbaine, les espaces de coordination n’ont pas vocation à être les mêmes. C’est pour ça qu’on a voulu, à travers cette recommandation, favoriser le développement d’espaces qui vont se construire à l’échelle locale avec les acteurs de santé, en mettant en œuvre le principe de responsabilité populationnelle.

L’idée, c’est que ces espaces puissent s’adosser à des structures existantes – dans nos recommandations, on essaie toujours de ne pas rajouter de nouvelles strates – afin que les patients et leurs proches sachent à qui s’adresser. Cartographier également ces espaces pour qu’ils soient visibles auprès des professionnels et des patients, et laisser aux acteurs locaux de santé la responsabilité du déploiement et de l’organisation de ces espaces de coordination.

Sur le volet formation, vous recommandez d’inclure "les enjeux de coordination, de travail en équipe et de management" dans la formation initiale et continue des professionnels de santé. Notamment de nouveaux thèmes concernant la coordination et les organisations… Quels sont-ils ?

C’est tout ce qui va aider les professionnels de santé à comprendre le rôle de chacun : des modules de compréhension de l’organisation des soins sur le territoire, des acteurs de la coordination présents (CPTS ou ARS), ainsi que des modules de formation sur des outils numériques qui vont favoriser la coordination. Donc à la fois de nouveaux thèmes de formation et de nouvelles façons d’apprendre : comment on met en place des modules collectifs avec plusieurs professions de santé ensemble, notamment les infirmier(e)s et les médecins ? Comment initier un enseignement plus pluriprofessionnel et par parcours ?

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