Article publié dans Concours pluripro, mars 2022

Le poumon, en tant qu’organe d’échange entre le milieu extérieur et le milieu intérieur, est une porte d’entrée pour des aérocontaminants toxiques, qu’ils soient particulaires, gazeux ou sous forme de vapeur, et ce en particulier dans le milieu professionnel. Ces contaminants progressent plus ou moins loin dans l’arbre bronchique, en fonction de leurs caractéristiques physicochimiques, et peuvent générer des processus lésionnels lorsque les mécanismes de défense du poumon sont dépassés (voir p. 38). Si les étiologies classiques des pathologies pleuropulmonaires restent d’actualité, de nouvelles causes sont également décrites. Par ailleurs, le poids des preuves augmente vis-à-vis d’une contribution forte de facteurs toxiques pour certaines pathologies pulmonaires, préalablement considérées comme idiopathiques.

 

Pathologies obstructives professionnelles

>> Asthmes en lien avec le travail

Il est classique de distinguer, au sein des asthmes en lien avec le travail, ceux qui préexistent et qui sont aggravés par le travail de ceux directement causés par le travail qui, seuls, sont appelés asthmes professionnels, et qui représenteraient jusqu’à 16 % des asthmes, selon un consensus récent de sociétés savantes européenne et nord-américaine. Il existe plusieurs centaines d’étiologies d’asthme par sensibilisation, que ce soit en lien avec des protéines de haut poids moléculaire (animales, végétales ou micro-organismes) ou des agents chimiques de bas poids moléculaire (produits de coiffure, métaux, isocyanates, acrylates et dérivés, certains désinfectants, etc.). Les asthmes du boulanger (allergies aux farines ou à leurs contaminants) restent également d’actualité avec, de plus, l’apparition d’allergies à certaines farines pour la fabrication de pains spéciaux (maïs, riz, sarrasin, plantain...). Les efforts de prévention ont largement fait reculer certaines causes d’asthmes professionnels par sensibilisation parmi les plus fréquentes, comme l’asthme aux isocyanates chez les carrossiers peintres en lien avec l’application au pistolet des peintures polyuréthanes. Toutefois, il persiste un bruit de fond d’asthmes aux isocyanates en relation avec d’autres utilisations, voire la simple maintenance des pompes véhiculant ces produits.

Par ailleurs, la dynamique économique de certains secteurs d’activité, qu’elle soit associée à des tendances de fond ou à des effets de mode, est parfois associée à l’émergence d’asthmes professionnels. Citons ainsi le développement de l’activité de prothésistes ongulaires, pourvoyeuse d’asthmes en lien avec les méthacrylates et cyanoacrylates utilisés pour fabriquer les ongles artificiels. Chaque modification de techniques impacte la fréquence de survenue de ces pathologies : ainsi, le passage de la technique résine, utilisant un monomère réactif liquide pour fabriquer l’ongle artificiel, à la technique gel utilisant un prépolymère, moins réactif, semble avoir diminué la fréquence de ces pathologies. Pour mémoire, de nouvelles étiologies d’asthme allergique sont parfois décrites, et concernent habituellement des "niches", avec relativement peu de personnes exposées et dont l’investigation reste le champ de spécialistes (ex : agents de maintenance de machines à café sensibilisés à une moisissure se développant sur le marc de café, décrite de façon contemporaine dans trois pays européens).

Surtout, au-delà des seuls asthmes par sensibilisation, on comprend mieux aujourd’hui le rôle de l’irritation au long cours des voies aériennes dans la genèse d’asthmes avec une chronologie professionnelle difficile à mettre en évidence, sinon sur du temps long. Ces asthmes sont le plus souvent associés à une inflammation neutrophilique plutôt qu’éosinophilique. Le message essentiel en termes de santé publique concernant les asthmes par irritation est la prise de conscience de l’augmentation des cas d’asthme chez les professions exposées à des produits détergents et désinfectants, que ce soit dans le secteur du nettoyage, des soins ou d’autres secteurs professionnels, ainsi qu’en population générale.

En lien avec le mécanisme irritatif, dans le domaine cosmétique, on peut aussi citer la mode des lissages brésiliens, qui a été associée à une épidémie d’aggravation de troubles obstructifs chez les coiffeurs (exposition au formaldéhyde via certains produits de lissage désormais interdits, et produits de thermodégradation de la kératine). Les mesures d’interdiction des produits les plus toxiques et les autres efforts de prévention semblent avoir diminué l’occurrence des cas de ce type.

L’exposition au long cours à des produits irritants peut également être à l’origine de formes frontières entre asthme et bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), appelées "overlap syndrome", voire de BPCO pures (troubles obstructifs totalement fixés, sans réversibilité).

 

 

>> BPCO professionnelles

On considère qu’environ 14 % (10-18 %) des BPCO seraient d’origine professionnelle, en lien avec des expositions à des gaz ou vapeurs irritantes, ou à un empoussièrement important. Les traditionnelles causes de BPCO restent les principaux sujets en termes de santé publique (construction, fonderie-sidérurgie, éleveurs, culture céréalière, …). Toutefois, de nouvelles étiologies de BPCO professionnelles ont également été mises en évidence. Grâce à l’étude de très grandes cohortes (publications de la Nurse’s Health Study en 2019 et 2021), il apparaît que le risque de BPCO est augmenté chez les infirmières en relation avec l’usage de désinfectants. Ce sur-risque est de l’ordre de 25 % pour les infirmières exposées sur des durées comprises entre quatre à quatorze ans, et de près de 70 % pour celles exposées plus de quinze ans. Concernant le milieu agricole, au-delà de l’exposition chronique à un empoussièrement, et potentiellement des gaz irritants (ex : ammoniac dans l’élevage), une expertise de l’Inserm menée en 2021 sur les effets des pesticides sur la santé a incriminé cette exposition comme facteur de risque propre de BPCO, en lien avec la stimulation d’une réaction inflammatoire.

 

>> Autres pathologies professionnelles obstructives émergentes

Un certain nombre d’autres cadres nosologiques ont été décrits parmi les pathologies obstructives émergentes en milieu professionnel, et c’est le cas des bronchiolites. Ainsi, l’inhalation de certains arômes de beurre a été associée à la survenue de bronchiolites sévères justifiant des greffes pulmonaires, une affection étiquetée "poumon des travailleurs du pop-corn", en lien avec des arômes de type dicétone (diacétyle ou 2,3-butanedione et 2,3-pentanedione). Certains toxiques particuliers, comme le styrène (une substance très utilisée dans l’industrie des polyesters stratifiés) s’avère également être un pourvoyeur de divers troubles obstructifs, avec probablement une implication de co-expositions, notamment de catalyseurs, dans l’industrie des plastiques renforcés par fibres de verre. Une nouvelle entité intégrant des bronchiolites constrictives particulièrement sévères, en lien avec une fibrose péribronchique avec infiltration lymphocytaire et de l’emphysème, a été décrite aux États-Unis chez certains travailleurs exposés à des huiles de coupe. L’analyse du microbiome des huiles en question fait penser qu’il s’agit d’une réaction à l’inhalation de bactéries atypiques les contaminant (Pseudomonas alcaligenes), et responsable d’une prolifération de tissu lymphoïde péribronchique.

Enfin, il existe des bronchites à éosinophiles d’origine professionnelle, une entité peu connue qui représente un diagnostic différentiel de l’asthme, avec un phénotype bronchitique, sans réversibilité significative au test aux bêta-2-mimétiques. Elles sont souvent suspectées dans ce contexte par des taux élevés de NO exhalé et peuvent être démontrées sur l’expectoration induite (avec une variation du taux d’éosinophiles associée à une chronologie professionnelle). Les étiologies de ces bronchites à éosinophiles ne sont pas fondamentalement distinctes de celles de l’asthme.

 

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