Confronté à des évolutions technologiques, professionnelles et sociétales dans un "univers sanitaire en pleine transformation", "le médecin ‘bon à tout faire’ disparaîtra-il, écrasé sous la pression des autres professionnels de santé aidés par l’IA et les patients informés ? ou deviendra-t-il le spécialiste de la synthèse, l’assembleur de la multitude d’actes réalisés par les autres spécialistes et soignants et restera-t-il le confident du patient dans l’organisation de son parcours de soins personnel ?" C’est la question qui a motivé cet avis de l’Académie de médecine, publié ce mardi 11 avril. 

Comme "la répartition des rôles des professionnels qui s’effectuait au sein d’une hiérarchie reposant sur le principe du monopole diagnostique et thérapeutique relevant de la responsabilité du seul médecin se trouvent aujourd’hui remises en cause avec l’émergence de plusieurs innovations" (voir ci-dessous), l’Académie de médecine note qu’"aujourd’hui et encore plus demain, c’est une équipe de soins qui assurera la prise en charge des patients". Car "dans cet univers en transformation profonde" – féminisation de la jeune génération de médecins, réduction du temps de travail pour mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée, plébiscite pour l’exercice collaboratif entre médecins et autres professionnels, mise en place d’autres modes de paiement… – le médecin généraliste doit "faire profondément évoluer son exercice sans se perdre dans une conception dépassée de son action"

Adopté lors de la séance du 14 février dernier par 72 voix contre 15 (et 16 abstentions), l’avis s’est appuyé sur 64 auditions réalisées par un groupe de travail* pour formuler trois scenarii concernant le rôle et la place du médecin généraliste :  

> Sa disparition sous la pression des autres professionnels de santé. Un "schéma rejeté par toutes les personnes interrogées", note l’Académie ;  

> L’éclatement du métier de généraliste qui, en fonction des besoins ou des préférences, deviendrait pédiatre, gériatre, gynécologue, andrologue ou autre spécialiste ;  

> Son évolution vers une fonction globale : de synthèse, en véritable assembleur de la multitude d’actes réalisés en partage avec les autres spécialistes et soignants ; de confident personnel du patient au sein de son parcours de soins ; de prévention pour la population générale. 

Si les deux premiers scénarii "n’ont pas été retenus car ils exposeraient à une prise en charge désordonnée des patients, les différents acteurs réalisant leurs prestations sans véritable plan diagnostique et thérapeutique coordonné", les personnes entendues au cours des auditions ont, "à l’unanimité", insisté sur "la nécessité de maintenir le rôle central de coordonnateur du médecin généraliste". Cette fonction, "symbole de la qualité de la relation humaine dans un esprit de confiance du patient", a été particulièrement soulignée par les jeunes internes. Ainsi, le troisième scénario "privilégie le rôle du médecin généraliste au sein d’une équipe référente en matière de soins et de prévention avec sa vision à la fois panoramique et profondément personnelle de l‘état de santé physique, mental et social des personnes qui se confient à lui".

Pour le groupe de travail, le médecin généraliste doit rester le médecin de premier recours pour les pathologies courantes, "même si ce rôle sera partagé au sein de l’équipe référente de santé". Il deviendra le "spécialiste de la synthèse diagnostique et thérapeutique" et ne traitera pas seulement le symptôme et la maladie. Il conservera son rôle "d’interlocuteur privilégié" du patient dans une prise en charge globale au sein de l’équipe référente de santé et interviendra également en amont dans la prévention aux accidents et affections évitables, comme en aval dans la réhabilitation avec les professionnels médicosociaux. Ainsi, "l’organisation de l’exercice médical inclura plus de temps pour discuter et expliquer au patient ce qui lui arrive et le chemin à suivre après avoir effectué la synthèse des actes réalisés par les autres professionnels"

Dès lors, pour que le médecin puisse assurer toutes ces missions, l’Académie précise qu’il faudra évaluer les actes – et la responsabilité qui en découle – à transférer à d’autres professionnels afin que le généraliste concentre son action "sur la synthèse et la gestion coordonnée des soins, notamment des cas complexes", tout en conservant sa relation avec le patient de "conseiller intime, de guide médical". Ainsi, le praticien "agira en véritable médecin interniste ambulatoire, remplissant le rôle d’assembleur des prestations à mener auprès de chaque patient", précise l’avis. Autres questions à aborder : quel rôle devra-t-il jouer dans la prévention sanitaire ? comment s’inscrire dans la réhabilitation au sein d’un parcours médico-social ? comment se répartira la responsabilité entre les professionnels ? quelles études l’étudiant devra-t-il entreprendre afin de répondre à ces défis, et quelle formation complémentaire proposer aux médecins déjà installés ? quels sont les modes et niveau de rémunération qui correspondront le mieux à la reconnaissance de son engagement et de sa responsabilité ? quelle place le généraliste tiendra-t-il dans l’organigramme sanitaire de demain ? 
 

Un temps plus long de consultation

"La priorité des priorités (…) consistera à bâtir un système autour de la santé de la population et des besoins des patients et non pas de la seule maladie, attribuant aux différents professionnels une autonomie d’exercice maximale dans un cadre collaboratif renforcé, tout en définissant clairement les limites de leurs compétences et de leur responsabilité", recommande l’avis. Ainsi, chaque professionnel de santé est autonome dans ses décisions et ses gestes mais s’inscrit dans un plan défini en commun par l’équipe locale référente. Le médecin doit promouvoir et assurer l’intégration des données, synthétiser la prise de décision et observer la qualité des résultats tout au long du parcours de soins. "Mon espace santé" servira à tous les professionnels intervenant auprès du même patient afin de permettre une fluidité dans l’accès aux informations médicales de l’équipe soignante "qui manque encore souvent aujourd’hui". 

La mission du médecin généraliste réclamera un temps plus long de consultation qu’il ne pourra récupérer qu’en appliquant certaines mesures :  

> Une réduction "massive" des tâches administratives et du remplissage de la majorité des certificats : des assistants administratifs gèreront les rendez-vous et le recours aux examens d’imagerie, de biologie et autres investigations dans le cadre d’une vraie "conciergerie sanitaire" dévolue à l’équipe soignante. Ils traiteront aussi les documents réclamés par les organismes payeurs ;  

> Le transfert à d’autres professionnels de santé (selon leurs compétences) de certains actes diagnostiques et thérapeutiques d’affections aiguës bénignes et de suivis des pathologies chroniques stabilisées, du remplissage des certificats en tous genres, de l’aptitude à la pratique du sport au décès. L’Académie cite l’expérience de l’ARS Bretagne qui autorise, en accord avec l’URPS, 50 pharmaciens à diagnostiquer et prescrire pour 13 pathologies bénignes. Loin de déclasser le praticien, un tel transfert d’actes "valorisera sa pratique dans une démarche holistique de médecin assembleur et non plus de médecin uniquement traitant" ;  

> L’usage des algorithmes et des moyens numérisés pour faciliter l’adoption de la bonne option diagnostique et du juste choix thérapeutique… à condition d’en détecter les biais et erreurs possibles ;

Le temps médical intégrera des actions de prévention et de réhabilitation, débordant largement le champ du seul soin, faisant du généraliste "le joueur au centre du terrain qui passe les ballons". Ainsi, il coordonnera les interventions des autres soignants "sans prédominance de son pouvoir sur les autres professionnels engagés dans une même action collaborative à responsabilité partagée" ; 

> Un exercice mixte pour permettre une meilleure coordination entre les mondes sanitaires, incluant des contacts plus étroits avec la PMI, la médecine scolaire, la médecine du travail, la médecine du sport et les Ehpad ;

> Des consultations avancées multisites organisées dans les petites communes en périphérie de la MSP, pour lesquelles médecins et personnels soignants se déplaceraient à tour de rôle la semaine soit dans les mairies elles-mêmes ou dans des "bus santé" cofinancés par les communes. En complément, des cabines de téléconsultation seront installées dans les pharmacies locales, conseille l’avis. 

Ainsi, "sur la base d’une moyenne de 4,5 à 5 jours d’exercice par semaine, répartis en demi-journées en collaboration avec ses collègues, le médecin généraliste pourrait suivre une file active médiane de plus de 1 500 patients en partage d’actes avec les autres soignants". Et organiser des plages dédiées aux nouveaux patients et à d’autres activités médicales.  

Des centres de soins non programmés (CSNP) ou immédiats ayant déjà ouvert leurs portes dans plusieurs territoires, l’Académie recommande d’organiser "la coopération entre ces centres et les MSP qui n’assureraient pas de permanence des soins afin d’offrir un accès fluide et coordonné aux patients". L’avis propose également, étant donné que les infirmières hospitalières de premier recours sillonnent déjà en ambulance certains territoires pour assurer des soins non programmés et des petites urgences (mini-SMUR infirmier), d’établir un "bilan de l’efficience de ces innovations et leur harmonisation loco régionale" afin de combler l’absence de permanence des soins dans les MSP les week-ends, d’assurer une prise en charge rapide des patients, de faire disparaître le recours aux urgences hospitalières pour des motifs qui ne le nécessitent pas.  
 

RETOUR HAUT DE PAGE