La plainte émane du président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine, "qui s’appuie sur un article paru dans Médiapart en mars 2024", explique Antoine Prioux, contacté par Concours pluripro. Dans cet article de presse, Eliza Castagné et lui expliquent avoir pratiqué la dispensation à l’unité de médicaments et redistribué les reliquats, "ce qui est actuellement interdit", reconnaît-il. Le 30 avril dernier, l'Ordre a prononcé à leur encontre une sanction de 6 mois d’interdiction d’exercer dont 4 avec sursis. 

 

 

Retour en arrière. 2019, première vague de pénurie de dérivés de cortisone. "Ces médicaments, fréquemment prescrits dans des pathologies bénignes, sont également essentiels dans la prise en charge de nombreuses pathologies graves, rappelle-t-il. Nous avons commencé à déconditionner de notre propre initiative car on était en manque de médicaments… et on savait que chez certains patients, plus de la moitié de la boîte allait finir dans la pharmacie familiale, périmée ou brûlée par Cyclamed, alors même que ces comprimés auraient pu servir à d’autres patients." Leur objectif, précise le pharmacien installé à Sornac et membre du Pôle de santé MilleSoins : "Éviter une rupture d’accès aux soins dans un territoire déjà sous tension, et d’agir contre les pénuries ainsi que le gaspillage." 

Parallèlement, les deux pharmaciens participent, en 2020, à un projet de recherche-action autour de groupes de pratiques médecins-pharmaciens – Les Cercles de qualité – au sein de leur maison de santé universitaire. Celui-ci vise à améliorer le bon usage du médicament au regard des recommandations internationales et des données actualisées de la science. "À l’issue de ces travaux, nous avons collectivement décidé de déployer la dispensation à l’unité des antibiotiques pour lutter contre l’antibiorésistance et de l’élargir ensuite aux médicaments à fort potentiel iatrogène, tels que les benzodiazépines (anxiolytiques et somnifères) et les antalgiques opioïdes, indique-t-il. Mais nous l’avons effectuée de manière marginale." Toute cette démarche a été décrite dans l’article de Mediapart. "À sa parution, on se doutait qu'on allait en entendre parler… mais on ne pensait pas, pour autant, recevoir une plainte", reconnaît-il.  

 

Une profession qui souffre éthiquement

À la suite du dépôt de plainte du CROF de Nouvelle-Aquitaine le 10 mai 2024, un rapporteur du Conseil de l’Ordre a auditionné les deux pharmaciens en octobre 2024, avant une séance disciplinaire le 16 avril 2025. Face à l’Ordre, les deux pharmaciens ont justifié leur choix, raconte Antoine Prioux : "La dispensation à l’unité constitue une mesure de bon sens, à la croisée des enjeux de santé publique, d’écologie et de responsabilité économique. Si nous voulons faire de la santé publique, nous devons pouvoir nous adapter pour soigner correctement. Aujourd’hui, je pense que notre profession souffre éthiquement du fonctionnement en place, ce qui contribue à la crise d’attractivité qu’elle traverse."  

Les deux pharmaciens jugent leur sanction d’autant plus injuste que si à l’époque, les pratiques étaient dépourvues de cadre légal, aujourd’hui, "elles trouvent une légitimité croissante au regard des évolutions réglementaires, des orientations institutionnelles et de l’opinion publique, estime Antoine Prioux. Nous sommes face à des injonctions paradoxales et à des questionnements éthiques"

 

 

Pour l'heure, leur décision de faire appel de la sanction suspend son application. "Cet appel est aussi une façon pour nous de mobiliser l’opinion publique afin de se poser les bonnes questions pour l’avenir de notre système de santé, confie Antoine Prioux. La pharmacie d’officine est un impensé de l’exercice coordonné. Nous transformerons vraiment les soins primaires lorsque nous ferons évoluer le couple médecin-pharmacien dans des dynamiques d’équipes territorialisées et lorsque l’officine ne sera plus pensée dans une conception marchande." 

Par l’intermédiaire de leur association de recherche en soins primaires, P4pillon, ils explorent les transformations des pratiques de santé permises par l’innovation organisationnelle et un numérique responsable. "Nous avons notamment prototypé un logiciel de gestion d’officine permettant de répartir de manière juste et transparente les produits de santé en fonction des besoins locaux", explique-t-il, ajoutant que son souhait est d'"œuvrer à la bifurcation du système de santé vers une économie sociale, solidaire et écologique, au service du bien commun et des populations les plus vulnérables"

 

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