Il fait frais ce vendredi 13 décembre autour de la place Saint-Augustin (Paris 8e). Le rendez-vous a été fixé – après quelques contraintes d'agenda – au restaurant Le Maresquier dont l'ambiance feutrée nous offre un petit temps de répit, loin de la grisaille ambiante. C'est là que Stéphanie Eyssette, pédiatre à la MSP La Colombe, doit nous retrouver. Un vendredi parce que c'est le seul jour où elle "fait des choses pour [elle], court, lit, écrit de la poésie" au métro Saint-Lazare parce que c'est "direct en métro" depuis Levallois-Perret où elle vit depuis douze ans. Quelques minutes de contemplation pour admirer la belle église Saint-Augustin en sirotant un chocolat chaud bien corsé… et là voilà qui arrive, grand sourire aux lèvres et son sac à dos Peanuts – et trousse assortie – rempli de documents "pour ne rien oublier".

Un cœur. C'est la première chose que Stéphanie Eyssette dessine dans son carnet une fois son capuccino commandé. Un petit pense-bête, avoue-t-elle, car elle ne veut pas "oublier une chose importante" qu'elle souhaite partager. Importante car faire partie de l'équipe de la MSP La Colombe, c'est "un grand bonheur", confie-t-elle en souriant. La maison de santé a ouvert ses portes fin août 2024 dans le quartier de l'Arc sportif, au nord de Colombes, et a construit son projet de santé autour de la santé de la femme, de l'enfant et de la santé, tant dans le curatif que la prévention et l’éducation. Ses 17 professionnels de santé – 2 pédiatres, 5 médecins généralistes, 2 orthophonistes, 3 psychomotriciennes, 1 orthoptiste, 2 infirmiers (dont le seul homme de l'équipe), 1 psychologue et 1 sage-femme – portent également un principe fondateur : celui de l'accessibilité aux soins car ce quartier des Hauts-de-Seine, qui compte quelque 90 000 habitants, connaît un fort déficit en professionnels de santé.  

"Un enfant, on ne peut pas lui mentir"

Cet exercice en MSP, c'est une troisième vie pour la médecin qui a d'abord eu un parcours hospitalier. Un clinicat au Kremlin-Bicêtre, et dix ans comme praticien-hospitalier au CH de Pontoise, responsable de l'unité des nourrissons. "J'ai toujours adoré la pédiatrie", raconte celle qui voulait initialement être garde forestière et vétérinaire. Mais au lycée, elle décide de s'orienter vers la médecine générale, fascinée par "les rapports humains" et l'aspect "assez complet" de cette profession. Quelques années plus tard, alors externe au service Pédiatrie de l'hôpital St Vincent de Paul (groupe hospitalier Cochin), elle observe les pédiatres au chevet de leurs petits patients. "Je les entendais parler aux enfants et à leurs parents. Et je me suis dit que je voulais cette authenticité-là, ce rapport vrai. Parce qu'un enfant, on ne peut pas lui mentir. Et c'était dans cet échange que je voulais m'inscrire."  
 

Au Kremlin-Bicêtre, elle découvre sa "première passion médicale", la drépanocytose. Une maladie particulièrement complexe qui touche une population pour laquelle elle a "une grande affinité", développe-t-elle : "Je trouve qu'il y a encore plus d'authenticité dans l'échange, une vraie découverte de l'autre…" En France, c'est "la première maladie génétique", mais elle est "peu médiatisée", regrette Stéphanie Eyssette. En Ile-de-France, les plus gros centres de référence l'hôpital Necker Enfants malades, le Kremlin-Bicêtre, Robert Debré, le CHI Créteil et Armand Trousseau – accueillent, orientent et accompagnent les quelques 30.000 personnes concernées.  

Dix ans à Pontoise, "350 gardes aux urgences, je ne sais plus combien de week-ends, et surtout pas de perspectives d'évolution"…  La médecin qui a "100.000 idées à la minute et qui [a] besoin de penser dans tous les sens" sent qu'elle tourne en rond. "Je ne pouvais pas continuer ainsi, j'avais besoin d'autre chose. Mais j'avais été formée pour l'hôpital et je me suis longtemps demandé ce que je pouvais faire d'autre, ce que je savais faire d'autre !" Ce pas de côté est "assez dur", avoue-t-elle. Elle cherche d'autres perspectives, rencontre des gens, discute… 
 

En 2019, Stéphanie Eyssette arrive à la PMI de Paris. "Une première délivrance", lance la médecin qui comprend que "changer, c'est possible". Jusqu'à l'été 2023, elle partage ses semaines entre la PMI et le CH de Pontoise où elle coordonne, une journée par semaine – le lundi –, le centre de compétences drépanocytose. Une journée qu'elle a gardée malgré son installation en libéral en septembre 2023. Elle s'implique également au sein du GPGse (Groupe de pédiatrie générale, sociale et environnementale), un "petit" groupe fille de la Société française de pédiatrie, qui regroupe des médecins de l'enfant ayant des modes d'exercice différents… "J'aime bien trouver du sens à tout. La transversalité, notamment sur les modes d'exercice, me semble évidente. Et c'est devenu un réel enjeu pour moi." 
 

La PMI ne sera finalement qu'une parenthèse – longue de cinq ans car elle a besoin d'évoluer. En 2023, elle décide de sauter un nouveau pas et de s'engager en libéral. Une aventure commencée trois ans plus tôt, quand Laïla Rivard, une confrère pédiatre exerçant au centre pédiatrique des Côtes, la contacte pour "voir comment travailler ensemble en équipe" 
 

"Ils avaient envie d'être ensemble…"

Avec Laïla Rivard et quelques autres professionnels de santé, Stéphanie Eyssette décide de s'embarquer dans le modèle "maison de santé". Un choix qui s'impose car "sur le papier, cela avait l’air de correspondre à ce qu’on souhaitait, et nous permettait d’être accompagnés et aidés". L’équipe se rapproche de l’URPS médecins libéraux Ile-de-France, de la CPAM et de l’ARS. Et lance le processus : étude de faisabilité, diagnostic territorial, projet de santé, labellisationLe diagnostic de territoire révèle d'ailleurs que le nombre de naissances à Colombes est supérieur au solde migratoire, que le revenu médian des ménages (principalement des couples avec enfant/s) est inférieur à celui du département et de la région, que le diabète arrive en tête des ALD les plus représentées ou encore qu'il y a peu d'actions de prévention et de dépistage…  

L'équipe se consolide petit à petit. "Ce sont des professionnels déjà en exercice mais qui ne voulaient plus être seuls dans leur cabinet. Ils avaient envie d'être ensemble… On faisait parfois des réunions jusqu'à minuit. Des heures et des heures, et on aurait pu mille fois s'entre-tuer !", lance-t-elle en riant.  

Très vite se pose le problème du local, "un des points noirs", confie-t-elle. Notamment sur le territoire francilien où l’immobilier est en tension. Les recherches prennent des mois, la mairie de Colombes s’implique et négocie avec les promoteurs. Finalement, une promesse de vente est signée pour un local de 370 mètres carrés, boulevard de Valmy, en avril 2023, à peu près à la même période que l’obtention du label MSP.  

En septembre 2024, la MSP La Colombe est fonctionnelle, les cabinets spacieux, les circulations fluides. Trois couleurs sont proposées aux professionnels de santé pour l'aménagement des 12 cabinets : terracotta, vert olive et bleu roi. Une salle d’allaitement jouxte la salle d’attente, pour permettre aux mamans de nourrir leur bébé. Une coordinatrice – de la société Docteur House – rejoint bientôt l'équipe… Le montage du projet n'a pas été simple mais les professionnels ont le sourire. "C'est une équipe incroyable, et c'est un grand bonheur de les côtoyer au quotidien… Ce sont vraiment de belles personnes qui font, chacune, un métier formidable. On discute de nos vies, de nos familles, mais aussi des patients que nous avons en commun…" Une équipe qui "partage la même vision de la santé : de l'accompagnement, de la médecine, de l'autre…" Et qui définit son projet de santé autour de 5 axes prioritaires : prévention et éducation à la santé ; lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé ; qualité et continuité des parcours ; place de l'usager au cœur du système de santé ; ou encore amélioration des conditions d'exercice des professionnels de santé. "L'idée est de voir comment on s'organise au sein du territoire, savoir qui fait quoi Le vrai échelon de santé est territorial, estime Stéphanie Eyssette. Mais c'est une culture qui doit encore prendre." 

Créer la maison de santé*, "ça a été long, très long, confie la pédiatre. Et on n'en sort pas tout à fait indemne". Mais le label MSP a le mérite "et c'est peut-être le premier mérite", glisse-t-elle – de fédérer des professionnels autour d'un même projet de santé. "C'est essentiel d'avoir un noyau soudé et motivé. Et d'utiliser les compétences et les qualités de chacun… Il faut aussi se battre et garder en tête qu'on fait tout ça pour aller vers un beau projet, une belle offre de santé. Mais aussi pour se créer les conditions pour faire le métier qu'on veut faire, et le faire le mieux possible." C'est aussi cela que Stéphanie Eyssette souhaite que ses deux filles (12 et 14 ans) gardent en mémoire : que leur mère fait le métier qui lui plaît et qu'elle y prend du plaisir.  

 

NOTE
* File active de 8.200 patients pour les pédiatres, les médecins généralistes et les sages-femmes.  

 

 

 
 

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