Article publié dans Concours pluripro, décembre 2023
 

Le département du Nord lance ses premiers centres de santé départementaux en cette fin d'année. Pourquoi cette mobilisation ? Et ce modèle ?

Aujourd'hui, 10 % des Nordistes n'ont pas de médecin traitant. Et certaines agglomérations sont durement touchées, comme le Sud Avesnois qui compte 47,6 médecins généralistes pour 100 000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 86,5. Depuis 2016, le département du Nord s'est engagé à faciliter l'accès aux soins : il accompagne des maisons de santé, intègre ses services médico-sociaux aux CPTS, met en place le camion Nord Santé Prévention Dépistage, propose de l'aide à l'installation et soutient la formation des infirmières en pratique avancée (IPA). Chaque année, en plus des aides de l'ARS Hauts-de-France et de la CPAM, il propose 10 000 euros à une dizaine d'étudiantes IPA.

Ce sont des élus de l'opposition qui ont proposé à Christian Poiret, président du département, de s'inspirer du modèle de la Saône-et-Loire pour créer des centres de santé départementaux à l'échelle du territoire. Ils y sont allés pour observer le modèle et sont revenus enthousiastes. L'idée, c'est de mobiliser la force de travail médical qu'on pourrait rajouter à celle qui existe déjà : les jeunes retraités ou qui sont en passe de le devenir, la jeune génération qui ne veut pas forcément s'engager dans une installation...

Ce projet, je le conçois comme un sas pré- et post-installation. Parce que les centres Maisons Nord Santé permettent de faire venir des jeunes sur le territoire en leur donnant un cadre d'exercice attractif (du salariat et de l'équipe coordonnée) avant de s'installer, et donnent aussi la possibilité aux anciens de décélérer après trente-cinq années d'exercice en libéral avec des horaires de folie...

Le département n'a pas la compétence santé mais, depuis la loi 3DS [du 21 février 2022, NDLR], plusieurs collectivités prennent cette compétence. Parce qu'apporter du soin dans des espaces fragiles ou susceptibles de l'être, c'est de l'aménagement de territoire. Et là, les collectivités territoriales ont leur rôle à jouer.

Un diagnostic territorial a été fait en juillet dernier en vue de la création des centres. Qu'a-t-il révélé ?

Les chiffres sont parlants. Environ 20 % de la population nordiste est âgée de 60 ans et plus et, d'ici 2023, on s'attend à une hausse de 45 % des 60 ans et plus. En matière de démographie médicale, si on compare nos chiffres à la moyenne nationale, ce n'est pas si mal, mais il y a de fortes disparités entre les régions. Et comme beaucoup de médecins partent à la retraite, l'urgence était d'arrêter l'hémorragie. Dans le Douaisis, entre juin et décembre 2023, 8 médecins partaient à la retraite... et 6 d'entre eux intègrent le centre de santé. C'est une belle moyenne ! Certains vont intervenir un jour ou deux, mais on en garde quand même 6 sur 8 grâce à ce modèle.

En quoi ce portage par un département était nécessaire ?

Reprenons le Douaisis : il y a 13 000 patients sans médecin traitant sur la CPTS Grand Douai, avec notamment une sur-représentation des personnes âgées, des patients en ALD, en exclusion sociale et en grande vulnérabilité, des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance... Et ce sont des patients qui, d'une manière ou d'une autre, bénéficient déjà de l'accompagnement des services départementaux, dans le cadre de l'APA, de la PMI, de la réinsertion et de l'emploi... Donc nos médecins viendront en appui aux équipes départementales. Par exemple, si un enfant est confié à des agents par mesure d'urgence, et qu'il faut monter un dossier MDPH, le médecin salarié peut intervenir si l'enfant n'a pas de médecin traitant ou s'il est débordé. Ce qui légitime ce portage au niveau départemental.
 

Lire aussi : La CPTS Grand Douai se dévoile en "live"
 

Le modèle du centre de santé du Nord s'appuie sur un appel à manifestation d'intérêt lancé en mai-juin 2023 : la communauté de communes ou l'EPCI prend en charge les locaux, et le département du Nord arrive avec ses équipes, le projet de santé, les salaires, le matériel médical au sein de ces sites. Les deux premières intercommunalités qui accueilleront ce modèle sont le Douaisis et l'Avesnois.

Quelle articulation avec l'offre qui existe déjà ?

Ce projet s'appuie sur cinq principes : la subsidiarité, la complémentarité, le consensus local, l'équilibre financier et l'agilité du déploiement. L'idée est de ne surtout pas créer de situation de concurrence entre les différents modes d'accès à la médecine générale. C'est pourquoi je rencontre tous les acteurs pour leur présenter le projet... Parfois, on a des accueils crispés de généralistes parce qu'il s'agit d'équipes salariées. Alors que l'idée, c'est de venir en appui des équipes libérales. D'ailleurs, quand je présente le projet à des jeunes médecins, je les encourage à venir à mi-temps au centre de santé et de garder un mi-temps pour aider les libéraux du territoire.

Quel est le calendrier proposé ?

Dans le Douaisis, l'équipe est quasi prête, les recrutements sont faits, et les travaux sont en cours. Le bâtiment nous sera livré un peu avant les fêtes, donc avec un peu de retard, mais on a 3 médecins à mi-temps et 2 infirmières en pratique avancée dans les startingblocks. On a donc démarré le 27 novembre hors les murs. Ainsi, en lien avec la CPTS, le pôle autonomie, l'équipe de gériatrie, les centres sociaux mais aussi les professionnels libéraux (essentiellement les pharmaciens et les infirmières), nos équipes (des binômes médecins généralistes-IPA en Ehpad ou à domicile) contactent les patients sans médecin pour proposer les inclusions dans le protocole d'organisation. Elles vont aussi bilanter les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance. On va d'abord travailler sur la population urgente, et dans les prochaines semaines, on ira également sur de l'aigu. On n'a pas les locaux, mais on travaille quand même ! Dans l'Avesnois, le projet avance de la même façon, avec un décalage de quelques semaines.

Le département porte aussi un projet d'"article 51"...

Au départ, j'avais imaginé ce projet avant celui des centres de santé départementaux parce que certaines IPA du territoire ne travaillaient pas, en raison du modèle économique. L'expérimentation consiste à mettre en place un suivi de proximité coordonné entre le médecin référent et l'IPA de secteur pour les patients âgés qui n'ont aucun suivi de médecin traitant. Avec notamment un modèle économique alternatif et des consultations intermédiaires. En clair, l'IPA verrait le patient tous les mois et le généraliste – sans forcément être le médecin traitant – une ou deux fois par an, sous réserve évidemment que celui-ci soit stabilisé. Le centre de santé porte cette expérimentation sur la CPTS, et tout médecin et toute IPA, indifféremment de son mode d'exercice, peut intégrer le projet.
 

Lire aussi :"Avec la CTU, l’idée est d’imprégner les bénévoles d’une culture santé"
 

MSP, centre de vaccination, CPTS et maintenant centres de santé... C'est une suite logique pour vous ?

Oui, parce que j'ai toujours été persuadée que le travail transversal sur les parcours et la coordination étaient les bons outils. Quand je me suis installée comme pharmacienne, mes associés et moi avions pris une grosse boutique pour pouvoir faire plein de choses. Je voulais avoir du temps pour réfléchir et m'inscrire dans les nouveaux modes d'exercice. En 2013, j'ai porté un projet de maison de santé dans un bâtiment attenant à mon officine, avec de l'ETP, de la prévention... En 2018, j'ai porté un projet de CPTS puis un centre d'appels de traitement et d'orientation des demandes de soins non programmés, de dépistage puis de vaccination à Gayant. J'ai encouragé la pratique avancée infirmière, j'ai mis en place le comité territorial d'usagers (CTU) en appui de la CPTS Grand Douai... Mais finalement, j'avais des IPA sans boulot, et 13 000 patients sans médecin traitant. Avec, à côté, des jeunes qui ne veulent pas s'installer, des médecins installés qui sont débordés, des patients chroniques non suivis... Quand le président du département du Nord m'a proposé de piloter ce projet de centre de santé départemental, je me suis dit "Y'a que ça que je n'ai pas essayé, donc go !"

Je suis une libérale dans l'âme, mais j'étais bloquée car j'avais activé tous les outils sans succès. J'ai regardé autour de moi. À l'hôpital, le modèle avec les IPA est une option qu'on arrive à faire fonctionner parce qu'il n'y a pas la crispation de qui va facturer. Chacun s'inscrit naturellement à sa place dans la chaîne du soin. Et je me suis dit que c'était peut-être le seul moyen d'expérimenter sur les territoires, en soins premiers, ce nouveau métier auquel je crois – car quoi qu'il arrive, on n'aura pas assez de médecins pour suivre les patients chroniques. Or, un patient chronique, ça se surveille comme le lait sur le feu. L'IPA ne va pas remplacer le médecin mais va surveiller de façon éclairée le patient chronique et alerter le médecin en cas de décompensation d'une pathologie. On a changé de paradigme au niveau de la prise en soin. Et l'équipe coordonnée salariée aura peut-être moins de souci... Si ça se trouve, ça ne marchera pas, mais, au moins, j'aurai essayé.

RETOUR HAUT DE PAGE