On parle des équipes de soins spécialisés (ESS) comme d’un nouvel outil structurant. Pourtant, la mayonnaise ne semble pas prendre. Pourquoi ? Parce qu’elles se heurtent aux mêmes difficultés que rencontre l’ensemble du système de santé. On ne résout pas les problèmes de démographie médicale en durcissant les conditions d’exercice, on ne cessera jamais de le répéter ! Et sans spécialistes, même avec la meilleure volonté du monde, difficile d’espérer fluidifier les parcours.
Mais l’enjeu principal est ailleurs, notamment dans la façon dont les ESS ont été construites. En tant que généraliste, j’aurais aimé être consulté lorsque ces équipes ont émergé dans ma région – comme nous l’avons fait, nous, en bâtissant nos CPTS. Un projet de santé, ça se travaille, c’est le reflet d’une analyse fine et minutieuse du terrain. Il faut interroger, donner la parole, écouter... Donc, coconstruire en pluripro.
Concevoir des réponses populationnelles ne peut se faire sans l’avis des acteurs des soins primaires. Ce n’est pas une mauvaise intention, c’est un angle mort majeur : on ne peut pas parler d’organisation populationnelle si la gouvernance n’est pas partagée. En laissant de côté le premier recours, on exclut ceux-là même qui identifient
l’essentiel des besoins.
Ainsi, on observe des ESS volontaristes mais centrées sur des segments étroits. En dermatologie, on met l’accent sur l’oncodermato ou les dermatoses chroniques, en oubliant l’immense champ des avis rapides qui fluidifient le quotidien des cabinets. En cardiologie, on parle optimisation du parcours, mais on manque cruellement de créneaux accessibles, d’avis rapides pour les patients polypathologiques à domicile, de liens avec les services hospitaliers. Fait-on le lien avec les programmes Asalée et ETP dans les ESS endocrinologie ? S’ouvrent-elles suffisamment au travail pluripro dans les parcours de la BPCO, les troubles cognitifs ou la santé mentale ?
Les ESS peuvent être utiles. Elles pourraient même devenir essentielles. Mais à une condition : changer de méthode. En associant les soins primaires, comme les CPTS ont su intégrer les médecins spécialistes, elles gagneraient en efficacité et en légitimité. Pour que les ESS ne soient pas que des vitrines syndicales, elles doivent s’ouvrir, partager la décision et intégrer ceux qui connaissent les besoins du territoire au quotidien : les généralistes et les équipes de soins primaires. Le parcours de soins ne souffre pas d’exception : il ne se décrète pas, il se travaille à plusieurs, en toute transparence.