D'après la conférence de Claude Leicher, médecin généraliste en MSP et président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé, lors du Cycle 2018 de la Chaire Santé Sciences-Po : "La 'révolution' hospitalière : 1958-2018". 

De l’hôpital caritatif du XIXe siècle à l’hôpital lieu de soin de la loi de décembre 1941, de la définition quasi personnelle de la spécialité médicale à l’exigence de critères de formation encadrés par la réglementation, l’évolution qui a permis la naissance d’un hôpital moderne fonctionnant sur des bases scientifiques reconnues a trouvé son aboutissement dans les ordonnances de décembre 1958 : le saut qualitatif pour l’hôpital avec la création des centres hospitaliers universitaires (CHU) a été considérable.

Le progrès des connaissances et les gains thérapeutiques ont été majeurs et ont bénéficié à l’ensemble de la population, car cet hôpital du XXe siècle n’est pas seulement devenu moderne, il est devenu aussi un lieu de soins pour tous, financé sur un modèle solidaire, et un lieu de formation des étudiants en médecine marqués par cette culture, un service pour tous.


Les conséquences du modèle CHU

Mais la cohérence du triptyque exercice, enseignement, recherche n’a été appliquée qu’aux seules spécialités exercées dans les hôpitaux. Les conséquences sur les autres acteurs du système de soins n’ont pas été examinées en 1958. Les vrais conseillers des responsables politiques sont issus du monde CHU : on aurait pu parler de réforme Debré père (Robert, médecin) et fils (Michel, Premier ministre). L’organisation du système de santé s’est toujours faite autour du CHU et des hôpitaux, la phase des réseaux de soins par exemple étant une simple exportation en ambulatoire de l’organisation interne des CHU : un organe, une maladie égalent un service et un réseau. Beaucoup d’autres secteurs du système de santé moins bien considérés se sont appauvris économiquement, certains étant proches de la disparition (la santé scolaire...). Et la formation médicale initiale a attendu longtemps avant de sortir du lieu unique qu’est le CHU. Cette atmosphère politique change depuis quelques années, et l’administration centrale de la santé commence à se "déshospitaliser" à tous petits pas.

L’autre conséquence issue du modèle CHU, c’est la notion de hiérarchie médicale, fondée sur une hiérarchie des connaissances, dans des secteurs de plus en plus étroits. La hiérarchie professionnelle qui en découle est la base de l’organisation du CHU, à laquelle tout étudiant est soumis pendant toutes ses études : ce modèle culturel imprègne tout le système de santé. Avoir un champ de connaissances très large, permettant d’appréhender la complexité des situations de santé, d’associer aux soins des dimensions de santé individuelles et collectives (la santé populationnelle) n’est pas mis au même niveau d’importance dans la "société médicale". Ainsi, lors du choix de sa future vie professionnelle, cette hiérarchie est très prégnante. Les acteurs médicaux hors filières CHU n’avaient donc ni les relais politiques, ni les porte-voix professionnels, ni le prestige culturel et médiatique pour se faire entendre : c’est donc hors les CHU, et parfois contre eux, qu’il a fallu batailler pour enfin en 2002 voir se créer officiellement la spécialité universitaire de médecine générale.

La spécialisation étant une "conséquence inéluctable du progrès scientifique" (Pinel), la médecine générale aurait dû être une spécialité parmi d’autres, car elle a un champ propre, celui de la complexité de la personne dans ses composantes biologiques et psychosociales, celui de la santé populationnelle, celui de l’organisation des soins de santé primaire ambulatoires. Tout milite aujourd’hui pour investir intellectuellement, financièrement, dans le renforcement de l’organisation des soins de santé primaires en France, organisés en équipe autour de la fonction de médecin traitant confiée à la médecine générale par la population. Depuis 1958, trop de temps a été perdu, et nous en sommes à un point de rupture en 2018, avec un hôpital mal et trop utilisé, une désertification en médecine générale, une population qui ne sait plus comment accéder aux soins, un seul enseignant de médecine générale pour 100 étudiants (dix fois moins que dans d’autres spécialités), et des facultés qui continuent à ne pas nommer de chefs de clinique dans cette spécialité.


Comment rendre l’exercice de la médecine générale plus attractif ?

D’abord, en investissant dans la filière universitaire de médecine générale, en affirmant son égale importance parmi l’ensemble des autres spécialités, aucune hiérarchie ne se justifie, car l’effort intellectuel est identique. Ensuite, en investissant, dans les nouveaux modèles organisationnels de travail en équipe que nous avons créés (équipe de soins primaires, maison de santé pluriprofessionnelle), dans la fonction du médecin traitant, dans celle d’assistant de cabinet, dans l’organisation des soins ambulatoires, avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour mieux articuler les relations entre soins primaires et soins secondaires, et organiser les relations ville-hôpital. Enfin, en se préparant à l’arrivée des nouveaux outils qui vont révolutionner nos modes de travail : "Avec l’intelligence artificielle, notre métier va complétement changer !". 

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