À longueur d’articles, d’interviews et de rapports d’études, l’accessibilité à des soins primaires pluriprofessionnels de qualité intégrant une approche préventive active est unanimement soulignée. La nécessaire réorganisation de l’offre fait consensus mais bien qu’accompagnée par les institutions, elle tarde à se généraliser et à démontrer son efficacité. La lutte contre les inégalités sociales et territoriales est pourtant une priorité politique absolue mais les moyens alloués restent insuffisants pour y remédier.

De même, la promotion de l’innovation sociale et technologique est promise mais les usages intégrés des organisations existantes peinent à se mettre en place dans les pratiques. Enfin, l’amélioration de la coordination est un leitmotiv des discussions entre acteurs du système de santé mais sa mise en œuvre rencontre encore nombre d’obstacles significatifs. Et si les retours d’expérience à l’international montrent qu’il n’y a plus besoin de démontrer l’importance des soins primaires1  une vision politique ambitieuse manque encore.

Pourtant des solutions existent : nouvelles organisations, nouveaux métiers, applications de santé numérique… qui pourraient permettre d’installer en France un système plus efficace et qualitatif tout en répondant aux besoins croissants de la population. Encore faudrait-il s’engager pleinement et investir plus dans les soins primaires ! Ne pas le faire pourrait se révéler bien plus coûteux et, à terme, destructeur pour notre système solidaire. Ne faudrait-il pas passer par un "Plan soins primaires" à l’instar de ce qui a été fait avec le Plan cancer ?
 

Des pistes d’actions prometteuses existent…

Équipe de soins primaires (ESP), équipes de soins spécialisées (ESS), structures d’exercice pluriprofessionnel coordonné (maisons et centres de santé), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), dispositif d’appui à la coordination (DAC) pour ne citer que ces solutions – car il en existe d’autres portées par d’autres types d’acteurs territoriaux – sont des avancées réelles. On ne manque pas de dispositifs, d’outils, de projets, de programmes, mais font encore défaut les stratégies d’appropriation et d’intégration de ces outils.

Une installation volontariste des changements organisationnels susceptibles de toucher le plus grand nombre de professionnels et de pratiques dans un maximum de territoire et en un minimum de temps est attendue des pouvoirs publics. Or l’accumulation de nouveaux dispositifs peu ou mal expliqués crée des "anticorps", réticences, voire oppositions, qui freinent la mutation de l’exercice des soins primaires. C'est regrettable, car cela ralentit considérablement l'évolution nécessaire du système de santé. Il est urgent de clarifier, expliquer, valoriser les succès, démontrer la valeur ajoutée, éviter les chevauchements de périmètre d’actions et les coordinations de coordination, déployer… pour aller plus vite.

Deux niveaux de mise en œuvre de soins primaires de qualité doivent se compléter et s’articuler pour relever les défis d’une meilleure accessibilité à des soins de qualité pour tous. Les structures d’exercice collectif d’une part (maisons et centres de santé, voire équipes coordonnées de soins primaires ou de santé communautaire) positionnées à l’échelle de l’effection du soin et les CPTS d’autre part à une échelle territoriale supérieure (bassin de vie) facilitant la synergie des ressources au niveau territorial. "Les CPTS constituent pour les soins de ville une transformation équivalente à celle qui au milieu du XXe siècle a révolutionné l’hôpital. D’ailleurs le concept est à l’œuvre aujourd’hui dans plusieurs pays : réseaux de soins primaires anglais, zones de soins primaires flamandes", précisait un retour d'expérience de la CPTS Paris 13 en 2019.

À l’échelle des structures de soins coordonnés, il s’agit d’associer les compétences d’une équipe pluriprofessionnelle pour prendre en charge et accompagner une patientèle. Au niveau d’une CPTS, il s’agit de partager une responsabilité collective vis-à-vis de la santé d’une population. Ces CPTS, qui regroupent plusieurs structures de soins, représentent ainsi une organisation à privilégier pour intégrer des services sur un territoire, soutenir les professionnels dans leur exercice coordonné, créer un partenariat fort avec d’autres acteurs (de l’hôpital, du médicosocial, d’associations de patients, de collectivités…) en s’adaptant aux spécificités de leur bassin de vie. Elles sont en plein développement avec un objectif gouvernemental de couverture totale du territoire2.

Appuyer la structuration des deux niveaux d’organisation dans un plan national

Il est impératif de poursuivre, la création et le renforcement d’unités de soins primaires – quelles que soient leurs formes (ESP, MSP, CDS, CDS communautaires…) Ces unités de soins primaires devraient bénéficier du "paiement en équipe des professionnels de santé"3 qui est une des expérimentations de paiement au forfait total ou partiel de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018. Cela fait partie d’une évolution de sortie du paiement à l’acte exclusif particulièrement intéressante pour les soins primaires. Pour que cela fonctionne, il suffirait que le forfait alloué respecte ou majore le chiffre d’affaires habituel des professionnels pour permettre des embauches de personnel et la mise en place d’activités hors nomenclature comme l’éducation thérapeutique.

Sur la base d’un projet de santé précisant le contenu en termes de services de la prévention aux soins, ces unités de soins primaires relèveraient le défi d’offrir un exercice coordonné par territoire de proximité. C’est en leur sein qu’une protocolisation des soins entre professionnels a plus de chance de réussir avec redéfinition des périmètres de chaque profession incluant les évolutions des métiers en cours et les alternatives aux manques de professionnels dans certains bassins de vie telles que la esanté. Pour respecter ses spécificités, chaque territoire définirait son type d’unité de soins primaires (unité principale avec ou sans antennes) et le lierait au niveau organisationnel supérieur intégrant le lien avec les établissements sanitaires et médicosociaux et des équipes de soins spécialisés. Ce que permettent les CPTS.
 


Garantir la présence de CPTS sur tout le territoire constitue un premier objectif crucial. Cependant, des preuves d’efficacité opérationnelle rapides vont être primordiales. Pour que les CPTS puissent pleinement remplir et développer leurs missions d’accès aux soins, d’amélioration des parcours de santé et d’organisation de prévention, il faut les aider, dès leur constitution (équipe et outils) à fonctionner de manière efficace. Cela implique de proposer un suivi adapté et un soutien méthodologique aux professionnels de santé impliqués et à leurs équipes salariées. En effet, il est important pour chaque CPTS de mettre en place très vite des actions concrètes à valeur ajoutée pour les professionnels de leur territoire, des initiatives de coordination des soins, des programmes de prévention, des actions d’amélioration des parcours et une dynamique collective (conviviale). La mobilisation pour un accès à un médecin traitant et l’organisation des soins non programmés sont des exemples d’actions concrètes tangibles déjà mises en place dans nombre de CPTS.

Ainsi, dans chaque territoire de proximité, un développement appuyé d’unités de soins primaires devrait être en mesure d’améliorer l’accès et l’effection des soins en accélérant les coopérations et partages de tâches encore insuffisamment déployées. A l’échelle d’un ou de plusieurs bassins de vie, une CPTS devrait prioriser sa mission "accompagner les professionnels de santé sur leur territoire". Cela se traduirait par une aide à la mise en place et la structuration – voire la révision des projets fragiles ou immatures – d’unités de soins primaires pour mailler son territoire en effecteurs… avec des moyens fléchés sur cet accompagnement.

Enfin, en se rapprochant des projets des groupements hospitaliers de territoire (GHT), des projets des établissements et services privés à buts lucratifs ou non, et des initiatives des collectivités qui assument des compétences en matière de santé à travers les contrats locaux de santé (CLS), les CPTS peuvent bénéficier d'un soutien pour renforcer les liens entre la ville et l'hôpital, ainsi que pour favoriser une collaboration accrue entre les soins primaires et les soins spécialisés ou encore en matière de prévention.

Pour réussir le maillage territorial, le métier de médecin généraliste doit évoluer…

Il faut "déployer" plus de collectif, sur une base de confiance et de missions partagées entre professionnels. De nombreux exemples positifs existent sous les différentes formes d’exercice coordonné précitées. Les professionnels se connaissent, se font confiance, organisent plus facilement leur emploi du temps, intègrent les nouveaux métiers (assistants médicaux, infirmières, infirmières en pratique avancée, infirmière de santé publique ou Asalée, médiateurs en santé…). Ils sont attentifs aux innovations qu’offrira l’intelligence artificielle dans les soins primaires (tri et analyse de données, aide au diagnostic permettant de gagner du temps médical ou détection précoce des maladies en ciblant mieux des facteurs de risques, etc.). Ils s’impliquent déjà dans des actions menées en partenariat avec des institutions, des patients partenaires ou d’élus et équipes des services des collectivités ainsi que les acteurs impliqués dans la prévention et la promotion de la santé dans les contrats locaux de santé et de projets territoriaux de santé mentale.

C’est en faisant équipe, comme le défendent les fédérations des MSP (AVECsanté), des centres de santé (FNCS), des CPTS (FCPTS), que ce type d’organisation peut fonctionner. On ne peut plus raisonner par profession. Le cloisonnement et la quête de reconnaissance catégorielle entravent le lien nécessaire entre les métiers du soin primaire et laissent la place à de fausses solutions comme les télécabines de consultations déconnectées des territoires ou des centres de soins dédiés uniquement aux petites urgences sans prise en compte des parcours. Travailler ensemble est la seule voie rapide à emprunter pour sortir des difficultés actuelles, limiter le consumérisme et redonner aux professionnels du premier recours la qualité d’exercice et le sens de leur métier. Ce que bon nombre d’entre eux appellent de leurs vœux.

Aussi, le métier de médecin généraliste est appelé à se transformer pour relever les défis du système de santé. Les pratiques devront être plus collaboratives et centrées sur le patient, impliquant une coordination étroite avec les autres professionnels de santé et une prise en charge globale des patients. Pour faire face à ces évolutions, le médecin généraliste devra renforcer très vite ses compétences en leadership, en communication interprofessionnelle et en travail d'équipe.

Maintenant que les outils sont en place (protocoles, systèmes d’information partagés, nouveaux métiers, …) et appropriables par tous, adaptables par territoire, la profession de médecin généraliste doit réaliser sa mutation pour s’engager dans les transformations en cours. Sinon elle risque de disparaître. Ce serait une erreur de se retrancher derrière des alibis d’immobilisme encore bien souvent énoncés : la relation malade/médecin, le secret professionnel, les mauvais choix du passé…  Des processus de soins protocolisés et encadrés par des algorithmes (IA) doivent rendre vigilants certes, mais ils pourraient favoriser les approches humanistes de la médecine en consacrant, en équipe, plus de temps de dialogue avec les patients. Donnons aux acteurs les moyens d’initiatives guidées par une vision engagée et des outils (formation, ingénierie, valorisation financière), choisissons avec eux les indicateurs d’engagement et faisons leur confiance dans leur implication.

Et les équipes pluriprofessionnelles être pilotées…

Car les évolutions attendues ne peuvent pas se limiter au partage des compétences et des interventions. Il est également nécessaire de redéfinir le concept de vie d’équipe de soins primaires. Repenser la manière dont celle-ci peut fonctionner au quotidien : comment on la fait vivre ? qui assure la coordination ? Comment se fait le management de manière transversale ? Comment organiser le travail par parcours de soins et quelle est la contribution attendue de chaque intervenant ? Comment rémunérer ces fonctions ? Pour réussir à rendre le processus de soins plus collaboratif, il est de ce fait impératif de servir le collectif en :
> Partageant l’information entre tous : au sein de la structure par l’équipe autour des patients via le dossier partagé labélisé par l’ANS (Agence du numérique en santé), et au sein de la CPTS pour toutes les interfaces avec l’environnement via une plateforme de communication sécurisée proposant une messagerie sécurisée, une application de messagerie instantanée, un outil de téléconsultation, a minima ;

> Formalisant les rapports entre intervenants pour fluidifier l’activité et partager la responsabilité en développant des procédures standardisées et de protocoles ;

> Acceptant de travailler à partir des données probantes issues de la recherche scientifique avec l'expertise clinique du praticien et les préférences du patient pour élaborer des stratégies de prévention, de diagnostic, de traitement et de gestion des maladies (médecine basée sur les preuves).

De telles mesures peuvent être perçues comme de l’ingérence dans l’autonomie des professionnels de santé. Pourtant, ce sont des équipes les plus en pointe qui les ont le plus souvent mises en place, l’impulsion pour faciliter leur déploiement rapide et à grande échelle revenant aux institutions. Il s’agit donc d’opérer un changement de culture au sein de chaque catégorie de professionnels spécialisés en soins primaires. Et ne pas oublier que l’adoption de ces paramètres de réussite requiert de la part de tous les professionnels de santé un effort considérable et soutenu car il s’ajoute à l’activité débordante de tous.

 

Investir dans un plan global pour les soins primaires pourrait bien être gagnant…

Outre l’impact politique, un plan pour le développement des soins primaires, similaire au Plan cancer, aurait plusieurs avantages et objectifs valorisant des démarches déjà en cours.

> Coordonner les efforts : en mobilisant activement et simultanément les différentes parties prenantes : professionnels de santé, établissements de santé, autorités sanitaires, associations professionnelles, collectivités et organisations de patients. Cela permettrait d'optimiser l'utilisation des ressources et d'éviter les doublons.

> Fixer des priorités : visant l'accès, la qualité et l'efficience des soins primaires. Ils incluraient des objectifs de santé publique clairement identifiés nationalement, justifiés et soutenus à l’exemple de la réduction des inégalités en matière de santé, la promotion de la prévention et du dépistage précoce des maladies, et l'amélioration de la prise en charge des maladies chroniques.

> Promouvoir l'innovation : encourager des projets de soins primaires soutenant la recherche, le développement de nouvelles pratiques cliniques, l'adoption de nouvelles technologies et l'expérimentation de nouveaux modèles de prestation des soins.

> Renforcer les capacités : en fournissant une formation et un soutien appropriés, en encourageant le recrutement et la rétention des professionnels de santé dans les zones sous-dotées, et en développant les compétences en gestion et en leadership.

> Anticiper les besoins : les évolutions démographiques imposeront un renforcement du suivi à domicile.

> Évaluer en continu : pour mesurer les progrès réalisés dans l'amélioration des soins primaires. Cela permettrait d'identifier les domaines où des efforts supplémentaires sont nécessaires et de mettre en place des ajustements stratégiques en conséquence.

> Promouvoir la collaboration intersectorielle : entre les secteurs de la santé et d'autres secteurs, tels que l'éducation, le logement, les services sociaux et l'emploi, pour aborder les déterminants sociaux de la santé et promouvoir des approches holistiques et intégrées de la santé et du bien-être.

La mise en place d'un tel plan impliquerait un investissement plus important de la part des pouvoirs publics. Cependant, même dans le contexte d'austérité budgétaire actuel, il resterait relativement modeste par rapport aux sommes allouées à d’autres secteurs. De plus, bien que le retour sur investissement soit difficile à quantifier de manière précise, le potentiel de bénéfices à long terme existe. Un investissement dans les soins primaires pourrait générer des avantages considérables pour la santé publique et la soutenabilité du système de santé.

Pour une prise en charge holistique et de qualité des problèmes de santé

La médecine générale a – encore – un rôle crucial à jouer dans le paysage des soins primaires en tant que clef de voûte de la coordination des soins, de la promotion de la santé communautaire et de la dispensation de son expertise dans les prises en charge. Elle consolidera ainsi une organisation intégrant les soins selon le niveau de compétences, favorisant une approche globale et personnalisée de la santé.

À la lumière des défis actuels et futurs auxquels sont confrontés les systèmes de santé, les soins primaires ont un rôle vital à jouer dans la résilience du système de santé, tant pour prévenir que pour gérer les crises que pour la soutenabilité du système entier. Investir dans les soins primaires, c’est investir dans la prévention des maladies, la gestion des conditions chroniques et la promotion du bien-être général de la population.

NOTE
1. Cf. modèles étrangers en Nouvelle-Zélande, Suède, Belgique, Costa-Rica…
2. Fort de l’apport majeur des CPTS comme moteur de la structuration des soins primaires, l’objectif de couvrir 100% de la population par une CPTS d’ici la fin de l’année 2024 a été confirmé à l’issue du tour de France des CPTS (juin 2023).
3. Rémunération forfaitaire collective des professionnels de santé en ville, substitutive au paiement à l’acte et libre dans son utilisation et dans sa répartition. Un nouvel appel à projets a été lancé en ce début 2024 par le ministère.

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