"Les propos d'Emmanuel Macron peuvent se résumer à la formule suivante : davantage de liberté à l’hôpital, beaucoup plus de coopération en ambulatoire et enfin, une coordination entre les deux. Énoncé comme cela, la plupart des acteurs du système de santé ne peuvent que convenir du bien-fondé du propos présidentiel. Reste qu’on s’interroge sur les méthodes et les moyens qui vont pouvoir être mobilisés pour y parvenir ; et surtout sur les ressources humaines susceptibles d’animer ces mêmes méthodes et moyens.

Pour l’ambulatoire, le mouvement vers un exercice regroupé et pluriprofessionnel, sinon territorialisé, est maintenant banalisé. En cultivant une diversité des formes de regroupement, il devrait devenir largement majoritaire, sans toutefois prétendre à l’exclusivité. Deux écueils menacent cependant. D’abord, la défiance qui anime encore un nombre conséquent de praticiens attachés à l’exercice traditionnel. On peut les entendre, ils n’ont guère été préparés à cette évolution de leur exercice, ni à la faculté, ni par leurs représentants professionnels. Cette impréparation est dommageable alors que la pluriprofessionnalité et la montée en puissance des assistants/coordonnateurs, des "pratiques avancées" et autres travailleurs sociaux autour des médecins est à l’œuvre dans l’ensemble des pays développés depuis une vingtaine d’années.

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Impréparation d’autant plus dommageable que des résultats positifs, tangibles, aisément accessibles et reproductibles y sont obtenus en termes de bénéfices pour les malades – en particulier les malades chroniques et complexes – et sans préjudice pour les médecins, bien au contraire. Ces résultats auraient dû être largement diffusés et partagés dans les instances professionnelles et au-delà, dans les cercles politiques. Les inévitables alarmes "au danger et à la perte de chance" entendues ces derniers jours s’en trouveraient délégitimées…

Il aurait été préférable de promouvoir les délégations d'actes comme l’apanage d’un exercice rénové

Le second écueil est plus menaçant. Il concerne les timides avancées qui ont été péniblement obtenues en matière de délégations par plusieurs professions improprement dénommées paramédicales (orthoptistes, infirmières, kinésithérapeutes…) auxquelles on peut associer les pharmaciens et sages-femmes. Ces délégations ont été accordées en tant qu’actes propres si bien que chacune des professions concernées est fondée à en revendiquer la "propriété". C’est une erreur, qui encourage la conception en silo ou corporatiste de chaque profession et risque de perpétuer l’exercice individuel. Il aurait été bien préférable de promouvoir ces délégations (et d’autres) comme l’apanage d’un exercice rénové où différents professionnels de compétences complémentaires contribuent à la meilleure prise en charge de chaque malade ; en corollaire, des modalités de rémunération innovantes et attractives, encourageant à cette bonne coopération/coordination auraient été bienvenues …

Bref, qui, en aval des propos tenus par le Président Macron, pourra - auprès des facultés, des instances professionnelles et plus largement des personnels politiques, en particulier des responsables locaux au contact des populations - tenir ce langage et justifier la mutation en cours des conditions d’exercice des professions de santé ?

La situation est également compliquée à l’hôpital qui a fonctionné depuis une cinquantaine d’années et jusqu’ici en bénéficiant d’une position dominante et d’un engagement sacrificiel d’une partie significative de ses personnels soignants et médicaux. Ce type d’engagement n’a plus cours aujourd’hui et les technologies modernes plaident pour l’ambulatoire.

La liberté proposée suppose une agilité dont l’organisation hospitalière telle qu’elle s’est développée ces dernières vingt années est le plus souvent incapable, même s’il existe ici ou là des réalisations innovantes et probantes. Avant tout, cette liberté proposée requiert que toute une série de rigidités statutaires, procédurales et hiérarchiques soient solutionnées. Qui pour mener ces chantiers ?

Quant aux échanges fluides et à la plus grande coordination entre "la ville et l’hôpital", la technologie maintenant disponible sinon domestiquée devrait y contribuer de manière décisive dès lors que les usages privilégieront résolument la simplicité. Il restera alors à finir de combler le fossé culturel entre ces deux mondes "hospitalier" et "libéral". La multiplication résolue des ouvertures et des transferts de postes entre les deux en serait un puissant vecteur. Et là aussi, il faudra trouver des maîtres d’oeuvre.

Finalement, tout cela revient à dégager des "intérêts à agir" ; ce qui n’a guère été fait jusqu’ici."
 

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