Un "bonheur". Celui de Michel Serin, médecin généraliste, de travailler au quotidien en maison de santé avec l'une de ses filles (Lucie, infirmière libérale), mais aussi de savoir que sa cadette, Jeanne, exerce le même métier que lui, à quelque 500 kilomètres de Saint-Amand-en-Puisaye (Bourgogne-Franche-Comté), également en MSP. Installé depuis près de quarante ans – d'abord "19 ans" en cabinet individuel avant de créer la MSP de Saint-Amand-en-Puisaye en 2005, la première maison de santé de France financée par l’URCAM de Bourgogne (avant la création des ARS), et dont le projet de santé et le modèle économique ont servi de support pour l’élaboration de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération, eNMR –, le médecin sourit en écoutant tour à tour Jeanne et Lucie. "Année après année, je mesure l'appropriation des valeurs que leur mère et moi leur avons transmises…", confie-t-il. À elles qui ont choisi des métiers de la santé, mais aussi à leurs trois autres enfants : Mathilde, Emmanuel et Antoine.


crédit : M.S.

 


Installée depuis près de dix ans dans le Lot, à la MSP de Lalbenque, Jeanne Serin, 41 ans, est la "deuxième de la fratrie de cinq", explique cette médecin dont la semaine est rythmée par trois journées de médecine générale en maison de santé, une journée en médecine légale au centre universitaire de Toulouse et une journée où elle ne travaille pas… mais en profite pour passer du temps avec ses deux enfants de 3 et 7 ans. "Je n'avais pas vocation à m'installer toute seule, explique-t-elle. Ça ne m'intéressait pas du tout. Je voulais surtout être dans une équipe." Un exercice collectif qui ressemble "globalement" à celui de son père à ses débuts, mais "contrairement à lui, j'ai eu accès rapidement à une assistante médicale infirmière qui est maintenant le pilier de notre organisation, une IPA… Et nous expérimentons en fonction de notre territoire, de nos histoires et parcours de vie. Finalement, c'est le même exercice coordonné mais on se l'approprie chacun à sa manière et selon l’équipe. Parfois, papa me dit 'Ah, tu fais ça comme ça… peut-être que je pourrai le faire aussi'. Je suis médecin généraliste et légiste, je suis aussi une jeune mère donc il faut, en même temps, apprendre le métier de médecin, s'approprier le travail en exercice coordonné, et aussi profiter de la vie en dehors du travail, profiter de ses enfants…"

Ce souci d'un exercice en équipe a également poussé Lucie, 39 ans et infirmière libérale, à s'installer à la MSP de Saint-Amand-en-Puisaye en 2017. "Pendant mes études, j'avais fait des stages à la maison de santé et je trouve que la notion d'équipe est importante. J'ai fait ces études pour m'installer en libéral mais je ne me serais pas vu m'installer en dehors d'une MSP", confie cette mère de deux enfants, qui se réjouit qu'"au moindre problème, les médecins de la structure réagissent tout de suite". Alors qu’une amie infirmière libérale mais en cabinet individuel, rencontre régulièrement des difficultés…. "Quand j'ai commencé mon stage, la MSP n'était pas montée, quand j'ai fini le stage, elle était debout et finalisée !"
 


Très attentif aux propos de ses filles, Michel Serin se dit "admiratif du courage et du professionnalisme de [ses] enfants" : "Quand Jeanne a démarré son exercice, la MSP était très fragile car il y avait un projet parallèle entre les élus qui voulaient avoir une 'maison de santé' sur leur territoire et les professionnels de santé qui débutaient dans l’exercice coordonné et qui tâtonnaient (ouverture en 2013). Mais je suis très admiratif de ce qu'elle a pu construire malgré les tourments. Elle a su s'entourer d'autres professionnels de santé, notamment une infirmière recrutée comme assistante médicale, des infirmières, kinésithérapeutes, dentistes, orthophoniste, podologue, ergothérapeute, un coordinateur et une assistante de coordination… Je me nourris des relations que j'ai avec elles. Jeanne m'appelle de temps en temps pour les situations d'aide ou tout simplement pour décompresser un peu. Pour ma part, je lui demande de l’assistance pour des morts suspectes… On tisse les liens autour des patients et je partage beaucoup les valeurs de mes enfants. C'est quelque chose qui m'a aidé à continuer dans cette dynamique d'innovation."

"Des petits miracles"

Innover, cela a aussi été le mot d'ordre de Michel Serin au moment de la création de sa maison de santé. "Ce qui m'a incité, c'est que j'avais besoin, à l'époque, d'échanger plus et mieux avec les infirmières, les kinés, les dentistes… et le taxi ! C'était une révolution d’exercice au quotidien ! Et je trouve que dans cette société où il y a beaucoup de souffrance, de difficultés d’accès aux soins, de renoncement à la santé, d’insatisfaction, de colère même, nous avons un gros travail d'organisation du système de santé en centrant notre fonctionnement d’équipe sur les patients : du premier contact avec la MSP aux choix des actions pour améliorer l’accès et la qualité des soins. Des modèles expérimentaux, comme la micro-structure en addiction, permettent de changer la vie de patients en grande souffrance. C'est extrêmement dynamisant et valorisant. En cela, la MSP est un outil fabuleux ! Je travaille au sein d’une équipe géniale, heureuse d’exercer et d’innover. Elle dispose de tous les nouveaux métiers : coordinatrice, IPA, assistante médicale d’équipe IDE Asalée, travailleur social avec la microstructure... Avoir cette équipe intégrée dans les mêmes murs avec plusieurs professionnels de santé, permet de développer la dimension médico, psychosociale souvent indispensable pour le soin. Et on a parfois l'impression de réaliser des petits miracles. C'est cette fameuse déclaration d'Alma-Ata qui affirme l’importance des soins de santé primaires pour permettre un accès au niveau de santé le plus élevé possible comme objectif social."


Si la famille Serin vit à Saint-Amand-en-Puisaye depuis bientôt quarante ans, tous les patients de la maison de santé ne savent pas que Michel et Lucie sont père et fille. "Je me présente toujours avec mon prénom et non mon nom de famille. Donc certains ne font pas le rapprochement avec le Dr Serin, sourit l'infirmière. Et puis, ce n'est pas plus mal, cela permet de séparer le travail et la famille."

Comme elle vit à 35 km de Saint-Amand-en-Puisaye, Lucie ne croise pas son père tous les jours. "Le quotidien des infirmières n'est pas celui des médecins. On a tous notre activité et notre rythme. On ne déjeune pas souvent ensemble d'ailleurs. Mais chaque mardi matin, nous avons des réunions médecin-infirmière (libérale, IPA, IDE Asalée) et assistante-médicale ainsi que la psychologue", explique-t-elle. "Une vraie chance de pouvoir développer de nouvelles missions pour les infirmières de la MSP", renchérit son père, "car avec plus de 5.000 patients médecins traitants pour 3,5  généralistes, on aurait du mal. Intégration des résultats du jour, création avec les nouveaux patients des dossiers informatisés avec tout le volet médico-psycho-social… Pour moi, les infirmières, c'est la lueur d'espoir du système de santé dans les années à venir."

Cet été, la famille Serin a prévu de se retrouver pendant le mois d'août. Trois générations – grands-parents, parents et enfants – pour parler "un peu de tout, raconter notre quotidien, rire, apprécier les retrouvailles, parler de la santé, voir grandir la nouvelle génération… ça fait du bien d'échanger". Cela permet de ne jamais être (ou se sentir) seul et de garder le lien, malgré des agendas très remplis.
 

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