Le sujet n’a pas fini de faire couler de l'encre. Alors que les syndicats de médecins libéraux se sont exprimés contre l’intégration dans la convention médicale de l’expérimentation Peps – et de son forfait qui rémunère collectivement une équipe de professionnels de santé pour la prise en charge d'un patient – quatre instances* représentant les centres de santé "ripostent" face aux déclarations des médecins libéraux sur cet "article 51". 

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Dans un communiqué commun, la Fédération nationale des centres de santé (FNCS), l'Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS), l'Institut Jean-François Rey (IJFR) et le Réseau des centres de santé communautaires (RCSC) s'insurgent du rallongement de deux ans de l'expérimentation Peps, à défaut de l'entériner dès 2024, dans le droit commun. Et rappellent que l'accès aux soins est la "première préoccupation des Français" et que désormais le temps presse pour trouver et établir des solutions pérennes. "Le forfait annuel par patient" et la "fin de la course aux actes" sont des revendications "portées de longues dates par les centres de santé", précisent-elles. 



Alain Beaupin, président de la Coopérative de santé Richerand (Paris 10e) et de l'Institut Jean-François Rey, l’assure : "L'expérimentation fonctionne bien en centre de santé." Et avoue que les dernières nouvelles [la réunion entre la Cnam et les syndicats, et la prolongation de Peps, NDLR] par "voie de presse" [Concours pluripro vous l’a dévoilé en exclusivité, NDLR] l'ont fait "tomber de sa chaise". En effet le généraliste, contacté par Concours pluripro, révèle que "personne n'a été prévenu" de l'intention de la Cnam de proposer Peps aux médecins libéraux dans le cadre de la convention médicale. "Nous aurions pu au moins recevoir un mail ou un sms. Nous avons appris en même temps que tout le monde, que nous allions 'redoubler' alors que nous avons réussi avec brio." Et le président de l'IJFR insiste :  si l’expérimentation “fonctionne” en centre de santé et dans certaines maisons de santé, il espère qu’elle sera étendue, au-delà du binôme médecin-infirmière, “aux autres professionnels de santé (kinés, sages-femmes…) ainsi qu'aux autres spécialistes afin qu'elle soit véritablement pluripro".

Ce "redoublement", ce Peps 2, est un non-sens à ses yeux. Il reproche à la Cnam d'avoir "fait ses calculs dans son coin, alors que nous, nous demandons à travailler ensemble sur le modèle. L'Assurance maladie a fait de l'immobilisme, de la procrastination." Pour lui, comme pour les quatre instances des centres de santé, Peps est "une expérimentation concluante : elle est bénéfique pour la qualité des soins, participe à l'attractivité du travail en équipe..." Il faut donc "passer de l'expérimentation à l'action". La FNCS, l'USMCS, l'IFJR et le RCSC dénoncent au passage le perpétuel "barrage" des syndicats de médecins libéraux aux "évolutions de notre système de santé", et estiment que "la médecine libérale porte une large responsabilité des carences actuelles"

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Alain Beaupin confie ne pas comprendre l'entêtement de la Cnam d'élaborer un Peps 2 et de faire entrer toujours plus de MSP. "Au lieu d'augmenter le nombre de centres de santé dans l'expérimentation, l'Assurance maladie souhaite faire entrer de nouvelles maisons de santé, alors qu'elles l'ont quasiment toutes quittée. Elles ont déclaré que Peps n'était pas applicable à leur modèle à cause de la répartition entre les médecins mais aussi les infirmières. En centre de santé, nous ne rencontrons effectivement pas ce problème."  

Le modèle de Peps serait donc particulièrement bien adapté aux structures salariant les médecins. Les centres de santé demandent donc, au travers du communiqué, l'ouverture immédiate du paiement au forfait aux centres de santé volontaires, l'extension du forfait aux autres professionnels (spécialistes, kiné etc…), la valorisation des caractéristiques sociales des patients, la garantie de non-sélection des risques ; la transparence des modes de calculs des forfaits et de leur évolution ; l'inscription dans le cadre conventionnel des algorithmes de calcul et des données utilisées et enfin ; la médicalisation du cadre conventionnel et l'empêchement des dérives de la financiarisation.  

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Pour rappel, l'Irdes a publié, le 23 janvier, les résultats d’une enquête menée dans six centres de santé expérimentateurs de Peps entre 2021 et 2023. Contrairement au rapport de février 2023 qui mettait en lumière les difficultés rencontrées par les maisons de santé à mettre en place Peps, ce constat portant sur les centres de santé, est tout autre. Car l'enquête révèle une redéfinition des rôles et un gain de temps médical, tout en précisant que "la ressource Peps apparaît comme une condition nécessaire, mais non suffisante, à la viabilisation économique" de ces structures.  

 

Peps inapplicable au libéral ?

Pour Marika Denil, infirmière de coordination de parcours au Pôle de santé des Allymes dans l'Ain (Auvergne-Rhône-Alpes), l'une des trois MSP toujours dans l'expérimentation, Peps a permis de complétement modifier positivement l'organisation et le travail en équipe. Contactée par Concours pluripro, elle révèle que cela a permis de réorganiser les consultations. "Au lieu d'avoir des temps de consultations uniformes pour tout type de consultation comme à l'acte, nous avons divisé les journées des médecins pour qu'ils puissent avoir plus de temps pour les patients chroniques et polypathologiques. Nous avons pu également garder des plages de soins non programmés chaque matin." La mise en place de l'expérimentation leur a également permis d'embaucher une accueillante qui réalise aussi un travail d'assistante médicale. "Nous avons aussi pas mal de matériel qui nous permettent de réaliser du dépistage avant d'adresser les patients à des spécialistes. Cela nous permet de les adresser de manière plus structurée, et de demander plus facilement des avis."  

La MSP a pu mettre en place une délégation de la prise en charge des patients avec un handicap ou une perte d'autonomie. "Je peux remplir les certificats de MDPH et d'APA, réaliser des évaluations à domicile pour voir s'il est adapté, faire des entretiens avec les patients pour qu'ils aient recours aux aides auxquelles ils ont le droit, nous précise-t-elle. Nous avons également mis en place un protocole de santé mentale où je prends en charge les patients ayant un trouble anxieux ou dépressif, et qui permet de réaliser des entretiens et de renouveler leur traitement." Elle en est convaincue : Peps offre la possibilité à chacun de conserver sa rémunération, tout en mettant en place des modes de travail différents. "Ce qui est facilement délégable est tout ce qui aide le médecin à rester à flot au niveau du temps et des finances. Avec le forfait, il n'y a plus besoin de s'attacher à la question financière." Et cette manière de travailler a fait ses preuves, assure-t-elle, car deux jeunes médecins se sont installés à la maison de santé". Au total, l'équipe compte six médecins généralistes, une IPA, une infirmière Asalée, une infirmière de coordination de parcours et une infirmière assistante médicale, ainsi que trois secrétaires accueillantes qui "régulent les demandes des patients, font de la mise en ordre de tous les dépistages (frottis, vaccins, dépistages du cancer…)." Et outre la collaboration entre professionnels de santé, Peps a aussi permis de faire face à l'arrêt soudain d'un des médecins du Pôle de santé des Allymes, "sans que la structure ne s'écroule"

 

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