Le collectif "Médecins pour demain" poursuit ses actions, avec notamment cette consigne donnée aux médecins généralistes de se désengager des CPTS à compter du 1er février. Pourquoi cette demande ? Et pourquoi les CPTS ?

Tout simplement parce qu’il existe des mesures qui enchaînent les médecins généralistes aux CPTS. Ces mesures coercitives sont actuellement en négociation : le médecin doit adhérer à une CPTS. Le problème, c’est qu’il y a des dysfonctionnements dans certaines CPTS qui ne sont pas gérées par des médecins ou qui entraînent une sur-administration de l’activité médicale. Alors que nous souhaitons justement avoir moins d’administratif.

La deuxième raison, c’est que cette enveloppe Ondam est versée aux CPTS pour la coordination plutôt qu’investie dans les soignants, que ce soit les infirmières libérales, les médecins généralistes, les kinés… Nous souhaitons que cet argent soit plutôt investi dans l’activité de soins que l’activité de coordination.

Ensuite, il s’agit clairement de mesures de contrôle et de coercition. Alors que le médecin n’a pas besoin des CPTS pour s’organiser avec ses confrères médecins ou paramédicaux. Les liaisons existaient déjà dans les territoires avant la mise en place des CPTS et la coordination se faisait déjà sans avoir besoin d’administratif. Leur existence est facilitatrice peut-être mais elle n’est pas essentielle. Or, comme dans le contrat d’engagement territorial, la CPTS est au cœur de tout et c’est une mesure coercitive. Si on n’y adhère pas, cela entraînera des répercussions notamment sur notre situation financière. C’est en tout cas ce qui est sorti des négociations conventionnelles.

Ce qui explique également votre refus du forfait structure ?

Ce forfait est un investissement pour du matériel et non du soin. Il y a des critères qui ne sont pas cliniques : est-ce que vous avez tel ou tel logiciel ou pas ? Certes, je suis pour une modernisation des cabinets mais est-ce vraiment essentiel alors qu’aujourd’hui, la question principale est qu’on manque de médecins ?
 

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Quel bilan faites-vous, à la veille du 1er février ?

Plusieurs médecins du collectif ont déjà refusé de renouveler leur adhésion à leur CPTS, beaucoup ont envoyé des courriers de désadhésion… On est en train de dire que le médecin, il peut travailler, il n’a pas besoin d’un administratif qui lui dit comment travailler et comment être en coordination avec ses confrères et ses collègues paramédicaux. Quand vous allez à la campagne, le médecin a, dans son téléphone, les coordonnées des infirmières locales et des kinés. Ils se connaissent tous. Pas besoin de cet objet CPTS.

Vous exercez déjà en pluriprofessionnalité, mais votre collectif rejette la PPL Rist qui vise à donner un accès direct aux IPA, aux kinés et aux orthophonistes. Une mesure qui mettra en place "une médecine sans médecins" dites-vous…

Je suis contre l’accès direct et la primo-prescription car ils engagent un diagnostic. Ce qu’on apprend en premier en médecine générale, c’est à rester humble et à savoir que devant une personne qui arrive pour quelque chose qui peut paraître totalement bénin ou commun, on peut se retrouver face à une situation qui peut être dramatique ou extrêmement urgente. Et cette humilité fait que les médecins ne se ruent pas sur un diagnostic. La médecine générale, c’est savoir gérer l’incertitude. On vient de rajouter une 4e année à l’internant de médecine générale parce qu’on dit que c’est complexe et probablement aussi face aux déserts médicaux quoi qu’en disent les politiques, mais là on nous dit que des non-médecins vont être capables de faire le travail d’un médecin généraliste. Je ne vois pas comment : oui, il y a de la formation théorique et pratique répartie sur six mois. Mais comment, en six mois, un non-médecin peut-il apprendre ce qui nous a pris dix ans d’études – dont 4 ans d’internat maintenant – à acquérir ! Je ne vois pas comment on peut transposer ça sans mettre à risque les patients, sans entraîner une perte de chance, que ce soit par délai – parce que le soignant ne voit pas le diagnostic qui pourrait se présenter devant lui de façon évidente – ou en raison d’un nouveau délai de consultation. Alors que le médecin voit le patient, fait la hiérarchisation et gère le suivi.

Concernant la primo-prescription : s’il s’agit de médicaments en vente libre, pourquoi pas ! Ça peut permettre de mieux guider les patients. Mais à partir du moment qu’on prescrit quelque chose, c’est qu’on a fait un diagnostic. On dit que l’IPA va gérer les pathologies stables. Mais pour savoir si une pathologie est stable, il faut d’abord faire un diagnostic. Et qu’est-ce qui se passe si la pathologie est instable ? Il faut consulter un médecin : on doit reprendre rendez-vous. Donc on rajoute du délai et de la consommation de soins, et on va vers une augmentation des dépenses de santé et une perte de chance pour le patient.

Imaginons que ça arrive un vendredi soir : votre kiné ou votre IPA vous appelle parce qu’il ne sait pas quoi faire. Que faire à 20 heures un vendredi soir ? Ou alors, on reporte sur les urgences.

Et puis, il y a la question de la responsabilité : si le professionnel est capable de faire un diagnostic et de faire une primo-prescription, il en assume la totale responsabilité de façon individuelle. J’en ai discuté avec plusieurs kinés et infirmières, et ils ne veulent pas de cette responsabilité.
 

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Justement, comment réagissent vos collègues kinés et infirmières au positionnement de "Médecins pour demain" ?

Tout est question de coordination et de confiance qu’on porte à ses confrères, ce sont des soignants, des collègues qui font partie de l’équipe de soins. Mais le problème de l’accès direct, c’est qu’on ne sait pas avec qui on travaille. Ce qu’on demande, c’est que cette coordination soit faite avec le médecin, tout en sachant avec qui on travaille. Éventuellement, on a formé cette personne… mais ce n’est pas le cas avec l’accès direct. C’est comme avec une secrétaire, ça fonctionne beaucoup mieux quand on la connaît, qu’on l’a en face de nous, qu’elle travaille avec nous quotidiennement. À partir du moment que le patient peut contourner ce système-là, vous ne connaissez plus le patient, vous ne connaissez plus la personne qui exercera en libéral en son nom propre. Et dès lors, on va avoir des dégâts.

On demande une coordination qui ne soit pas liée uniquement par les CPTS mais que ce soit entre le médecin et l’autre professionnel. Moi, je ne vais pas lier ma responsabilité à une personne que je ne connais pas, dont je ne connais pas la formation ou les compétences.
 

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Pourtant, aujourd’hui, l’accès direct est envisagé uniquement dans le cadre d’une équipe coordonnée…  

Actuellement, c’est ce qui existe mais avec l’accès direct, ce n’est plus le cas. Car ils voudraient travailler en libéral et dès lors, on est libre d’une structure. Ou alors, on a un contrat avec la structure qui se répercute sur l’ensemble des médecins de cette structure sans qu’ils connaissent la personne. En fait, il y a beaucoup de non-dits, la technicité de la loi n’est pas écrite et de ce fait, on ne peut pas être pour. Tout ça demande à être mieux cadré.

Ce n’est pas une mauvaise idée fondamentale mais l’accès direct et la primo-prescription, ça revient à dire « je suis médecin ».

Qu’attendez-vous de cette nouvelle mobilisation du 14 février prochain, date à laquelle la PPL Rist sera examinée au Sénat ?

On attend d’être entendus par nos politiques, qu’ils écoutent les voix de terrain. On a des solutions pour aider l’accès aux soins et les patients, mais ces solutions ne sont pas envisagées. Au contraire, on délègue le soin à d’autres, on éloigne les patients des médecins parce que les médecins coûtent trop cher, on rajoute de l’administratif, de la coercition, des devoirs de plus en plus comme si les médecins passaient leur temps à siroter des cafés ou des cocktails dans leur cabinet. Donc on va manifester pour dire que cette loi sera contre-productive pour les patients vu la problématique actuelle.

D’ailleurs, comment les patients perçoivent-ils votre mouvement ?

Je n’en parle pas trop avec mes patients. Ils ne perçoivent pas initialement nos problématiques mais ils voient les grandes lignes, par exemple, la C à 25 euros et ça les fait réagir dans un sens ou dans l’autre : soit ils sont pour soit ils sont contre… mais on ouvre la parole. Et on leur explique notre charge de travail, notre charge administrative, celle de tenir une entreprise, la charge qui incombe aux soins : le diagnostic, la prescription, la réévaluation des traitements, le renouvellement… Quand on leur explique la loi Rist-Berger et le risque de perte de chances ou de surcoût de santé, ils comprennent et ils nous soutiennent la plupart du temps.

La problématique, c’est qu’on a un métier spécialisé, complexe, pour lequel on n’a pas le droit de faire la publicité… Il est fini ce temps où les anciens se prenaient pour dieu. Aujourd’hui, les médecins – c’est l’impression que j’ai quand je regarde notre génération – sont relativement des gens modestes dans le sens où on ne va pas se vanter ou se vendre. On ne fait pas de marketing de notre profession et je pense que ça nous dessert parce que les gens ne comprennent pas forcément nos problématiques. On peut tenter un rapprochement avec des combattants de l’armée : on a une idée grosso modo de leur travail mais on n’en perçoit pas forcément toutes les difficultés. Que ce soit l’entrainement, les souvenirs et images qui restent derrières, la difficulté psychologique ou physique… On ne le perçoit sauf si on pose la question.

On ne se rend pas compte que l’interne a passé son 1er de l’an à faire une fin de vie, que celui qui est de garde doit annoncer une famille une mauvaise nouvelle… Et c’est pour ça que la profession est assez soudée et confraternelle : parce qu’on vit des choses spéciales quand on est médecin. Et on ne va pas dire à son patient que la personne qu’on a vu juste avant a un cancer, que sa fille a une maladie dégénérative et qu’on ne sait pas comment on va faire pour s’en sortir. Et vous, vous venez me voir pour un problème de dos mais je vais vous soigner avec autant de dévouement que la personne d’avant. Ce n’est pas quelque chose qui passe en marketing. On aime le soin – et c’est pareil pour les kinés et les infirmières, et les autres soignants.
 

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Votre mouvement est né en septembre 2022. Un mouvement "constitué de médecins généralistes, spécialistes, remplaçants et internes" qui se veut "apolitique et asyndical". Quel bilan faites-vous quatre mois après sa création ?

On est toujours apolitique et asyndical. Et on est toujours en croissance : on a passé la barre des 17 000 membres sur Facebook… sans compter les groupes WhatsApp ! Les médecins se sont aperçus qu’ils n’étaient pas tout seuls dans leur bureau à souffrir face aux problématiques de leur profession et son évolution. On a ouvert la parole à des problématiques qui étaient dans l’ombre. Et les médecins ont vu que c’était pareil chez leurs voisins. Peu importe la géographie ou la population qu’on soigne, la médecine générale libérale est aujourd’hui en souffrance et son évolution est délétère pour les médecins mais aussi pour les patients. On est à un tournant et les médecins ne sont plus prêts à accepter de travailler comme ça. Les choses vont changer en mal ou en bien. On se bat pour que ça change en bien, ou du moins pour que les choses arrêtent de se détériorer. Et si on se bat, c’est parce qu’on a du mal à soigner.

17 000 membres, ça représente entre 25 à 30 % des médecins libéraux : ce qui est énorme ! Et il faut bien penser que la ville réalise plus de 90 % des actes de soins. Si l’hôpital va déjà mal, et que la ville se casse la figure, la médecine publique va devenir une médecine de dispensaire en France, une médecine extrêmement pauvre et dégradée. Et ceux qui en souffriront, ce sont ceux qui ont le moins de moyens.

"Médecins pour demain", c’est votre premier engagement. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager de la sorte ?

J’ai 35 ans et j’ai une certaine ambition pour ma profession et les soins que j’ai envie de donner. Actuellement, je ne peux pas répondre à mes ambitions de soin ou aux demandes de mes patients. Et si j’imagine des solutions, je ne peux pas financièrement les mettre en place. On tire sur toutes les ficelles mais on est toujours à flux tendu. Je ne peux pas faire plus, humainement et financièrement.

J’ai 35 ans, j’ai envie de bosser, d’évoluer, et je ne veux pas m’enkyster dans un travail à la chaîne qui ferait de l’abattage de patients, de la médecine à la chaîne, de la médecine médiocre. J’ai envie de faire du soin de qualité, de proposer des choses à mes patients, de les prendre en charge proprement, de me former, de travailler dans de bonnes conditions… Aujourd’hui, je ne peux pas : si je veux une assistante, je dois me saigner. Et ça m’énerve de me dire qu’au-delà de vingt minutes de consultation, je ne suis plus rentable. Vu les consultations complexes qui prennent 30 à 45 minutes, ça se répercute derrière sur les autres patients avec des consultations plus courtes. Ou alors on réduit ces consultations complexes au minimum… et ça ne répond plus aux critères de qualité qu’on devrait avoir en France. Je suis frustrée et déchirée entre mes ambitions et les moyens qu’on me donne !

 

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