"À Lille, il sera question de changement", affirmait Pascal Gendry, au moment du lancement de ses Journées nationales d’AVECsanté. Pari tenu pour la fédération nationale des maisons de santé créée en 2008 sous le nom de Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) qui a regroupé, lors de cette édition 2022, 1 066 participants à Lille Grand Palais les 11 et 12 mars derniers. Au programme : 3 plénières, 21 conférences et l’énergie de 15 fédérations régionales pour valoriser les initiatives des équipes pluriprofessionnelles sur le terrain, échanger sur la représentativité des maisons de santé, débattre des (quelques) propositions santé avancées par les candidats à la Présidentielle, parler de l’avenir des expérimentations en cours…  et réaffirmer la conviction que l’exercice coordonné doit être "la base et la condition du changement" pour "refonder un système de santé plus à même de répondre aux besoins de soins et de santé de la population".

L’avenant 1 à l’ACI-MSP en attente

Les tout premiers échanges autour de l’avenant 1 à l’ACI-MSP ont démarré le 28 janvier 2021 – avec l’objectif d’adapter ses modalités aux orientations de "Ma Santé 2022" et du Ségur de la santé –, mais au 12 mars dernier, ils n’avaient pas (encore) abouti à un accord entre les 46 syndicats représentatifs.

 

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Si Patrick Vuattoux, médecin généraliste à la MSP de St Claude (Besançon), s’est étonné que cet outil ACI "important pour les équipes pluriprofessionnelles" était discuté uniquement entre syndicats monoprofessionnels, Thomas Fatôme, directeur général de l’Assurance maladie, a rappelé qu’il s’agit là d’un "cadre fixé par le législateur" mais "ne nous trompons pas, a-t-il précisé, on a une très large majorité des professions de santé qui soutiennent l’accord". Un accord qui permet, avance-t-il, "des financements en plus mais pas de contraintes en plus" pour se mettre "au service d’un certain nombre de priorités de santé publique".

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Une "révolution". Pour Gérard Raymond, président de France Assos santé, "vouloir travailler en équipe et partager les compétences, c’est assez nouveau pour certains. Ça percute et ça peut engendrer certaines résistances." Pourquoi ? Parce que "l’exercice coordonné bouscule le système de santé et les négociations conventionnelles, insiste Pascal Gendry. Pour permettre aux MSP de mettre en place les nouvelles pratiques, il faut évidemment les financer". Cet exercice coordonné "fait largement consensus, note le directeur de la Cnam, et rien ne va l’arrêter. L’article 51 permet de donner de l’air au système, notamment avec les nouveaux modèles de rémunération. Aujourd’hui, 20% de ces expérimentations concernent les maisons de santé."

Quelles voix pour représenter les MSP ?

Quelle est la représentativité des maisons de santé au niveau territorial ou national ? Les professionnels en exercice ont relevé diverses difficultés – fragmentation syndicale, problématique de reconnaissance et de dynamique descendante – mais les usagers ont "rapidement compris que la MSP est le lieu de soin privilégié. Cette représentativité se fait également via les fédérations régionales, mais souvent en parallèle, en off, en lobbying. Elle se fait de manière informelle auprès des agences régionales de santé car l’interlocuteur officiel, c’est l’URPS…", soutient le président d’AVECsanté. Ce que reconnaît Xavier Lemercier, médecin généraliste à la MSP de Vouneuil-sur-Vienne (Nouvelle Aquitaine) : "Quand on rencontre les URPS, ils nous demandent ‘Vous êtes qui ? Vous parlez d’où ?’ Ils essaient de nous cantonner dans ‘nos murs’ et ne reconnaissent pas notre légitimité à participer à une dynamique territoriale. Dans ce système, la maison de santé, en tant que tête de pont, n’existe pas."
 

Retrouvez la vidéo de la plénière sur la reconnaissance des équipes sur la chaîne Youtube d'AVECsanté

En chiffres

Objectif dépassé !

> 2018 MSP en fonctionnement au 31 décembre 2021 (20 en 2008, 240 en 2013, 615 en 2015, 1 118 en 2017, 1 307 en 2018, 1 617 en 2019, 1 801 en juin 2021)
> 1 fédération nationale, 15 fédérations régionales, 30 000 professionnels de santé impliqués dont 20% de médecins
> 20% des expérimentations « article 51 » concernent les MSP

 

Cette représentativité de l’équipe doit aussi se faire au niveau des CPTS, car "quand on représente 20 professionnels de santé, ce n’est pas la même chose que l’addition de 20 personnes isolées. Nous sommes des équipes, nous devons avoir notre place en tant qu’équipe au sein de ces structures", milite Pascal Gendry. Pour Nathalie Richard, chirurgien-dentiste et co-gérante de la MSP de Durban-Corbières (Occitanie), "la représentativité ne va pas de soi quand on n’est pas médecin. Car quand les instances s’adressent à la maison de santé, elles s’adressent aux médecins. Il faut donc qu’on s’interroge sur le regard qu’on fait poser sur nous, en tant que maison de santé"

Pour renforcer l’influence de la fédération représentative des MSP, faudrait-il envisager une migration du statut associatif d’AVECsanté vers un modèle syndical ? "Quelles seraient les caractéristiques d’une représentation syndicale ?", a questionné Nadège Vezinat, sociologue et intervenante à l’atelier : est-ce qu’un travail de politisation et de mobilisation est possible en dehors d’un cadre syndical ? est-ce que des voix discordantes sont possibles ? est-ce que l’organisation a la capacité de promouvoir des militants issus de différents groupes professionnels ? A l’heure où les maisons de santé sont de plus en plus nombreuses – l’objectif des 2 000 MSP à échéance 2022 est d’ailleurs atteint et dépassé – et que des voix suggèrent la création d’un syndicat pluriprofessionnel, la question du statut de la fédération doit se poser. 

 

Innover et financer

"Nos maisons de santé tissent du lien social, ce qui nous permet d’agir concrètement contre la rupture sociale, grand facteur d’inégalités", a affirmé Didier Ménard, médecin généraliste à la cité des Franc-Moisins de Saint-Denis (Ile-de-France). Et l’expérimentation article 51 sur les maisons et centres de santé participatifs permet de prouver qu’"on est capable, en tant que soignant, d’agir sur les déterminants de santé. Et elle nous donne, enfin, les moyens financiers pour agir ! Nous vivons un moment historique dans la lutte contre les inégalités de santé, d’autant que cette lutte se fait avec les usagers". Accompagnement médico-psycho-social des usagers visant à les rendre acteurs de leur propre santé, recours à la démarche participative, à la médiation en santé et à l’interprétariat professionnel… Si la première phase consiste à "tester en conditions réelles" pendant deux ans (2021-2023) les différentes dotations, grâce à un panel de 26 structures (13 centres et 13 maisons de santé de tailles différentes), la deuxième étape verra la généralisation du dispositif à compter de 2024. "Il s’agit de la plus grosse expérimentation article 51", s’est réjoui Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, qui a porté le dispositif.

Focus régional

200 MSP en Hauts-de-France

L’objectif fixé par le ministère de la santé était de 174 MSP avant le 31 décembre 2022. Au 11 mars, la région Hauts-de-France comptait déjà 200 MSP en activité. Soit 2 818 professionnels de santé impliqués (dont 734 médecins généralistes, 849 infirmières, 294 masseurs-kinés et 75 sages-femmes) et une moyenne de 14 à 15 professionnels dans chaque structure. "Ceci illustre d’une part l’attrait de l’exercice coordonné, notamment pour les jeunes médecins, et d’autre part les moyens déployés par l’ARS pour faciliter la création des MSP qui constituent un levier de renforcement de l’offre de soins", avance l’agence qui a également reconnu ses deux premières MSP universitaires, à Wattrelos et Lille. Des prémices du projet à la labellisation et au déploiement de la formation, l’accompagnement de l’ARS s’élève à un budget annuel moyen de plus de 1,5 millions d’euros.

 

La MSP Pyrénées Belleville (Paris, 20e) fait partie des 6 structures qui ont expérimenté le dispositif avant l’intégration des 20 autres le 1er mars 2022. Créée en 2013 au sein d’un quartier de veille active (QVA), elle côtoie des populations ayant plusieurs facteurs de vulnérabilité sociologiques et économiques. Son projet de santé s’articule autour de 3 axes majeurs : la coordination des soins, l’accès aux soins et la lutte contre les inégalités sociales de santé. "L’idée, c’est d’agir sur les inégalités sociales de santé qui sont des inégalités évitables, affirme Mady Denantes, médecin généraliste. Et de donner plus aux CSP-."

Si la MSP a déjà mis en place plusieurs actions au sein du quartier (ateliers bébés enrhumés avec les médecins et les kinés, ateliers santé des femmes en lien avec l’atelier santé ville, des automesures tension artérielle avec les pharmaciens, permanence de soins auprès des jeunes en errance (Paje), consultation précarité-Asalée dans un CHRS en binôme avec une médiatrice en santé…), son intégration à l’expérimentation, et à son financement, lui permettra notamment de financer un poste de psychologue, d’augmenter le nombre d’interventions de la pédicure-podologue, de renforcer les permanences de l’assistante sociale ou encore les permanence santé au sein d’un foyer de travailleurs migrants avec la participation d’une usagère.

 

Avecsté
Annonce 2023
Plenière sur les déserts médicaux
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Alors qu’un duo de sociologues de l’Irdes s’est lancé dans une étude au long cours sur les financements expérimentaux des soins primaires que sont les Peps (paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé) et les Ipep (Incitation à une prise en charge partagée), l’atelier "Rémunérer l’équipe ou rémunérer le professionnel via l’équipe" a donné la parole à des professionnels qui se sont saisis de cet "article 51". Ayden Tajahmady, directeur adjoint de la stratégie des études et des statistiques de la Cnam, a insisté sur ce changement de posture et de mode d’organisation dans lequel une poignée de MSP se sont lancées depuis janvier 2021. "Dans le cadre d’Ipep, ils expérimentent un nouveau mode de financement, complémentaire aux financements de droit commun, reposant sur un intéressement collectif basé sur l’atteinte de leur performance mesurée à partir d’indicateurs de qualité, d’expérience patient et de maîtrise des dépenses. Le Peps, quant à lui, constitue une mutation plus profonde en termes de révision du modèle économique de dispensation de soins de premier recours puisqu’à terme, elle vise à substituer le financement à l’acte par un financement au forfait pour un certain nombre d’actes." D’ailleurs, poursuit-il, les premiers enseignements "montrent que cela fonctionne et que le degré de contraintes est assez faible. D’ailleurs, deux nouvelles équipes se sont lancées début 2022". Si toutes les MSP peuvent être concernées par cette expérimentation, Ayden Tajahmady précise que ce "partage de rémunération" ne fonctionne que "si les équipes pluripro ont un projet commun" et "si elles sont capables de gérer elles-mêmes le projet de bout en bout".

Pierre de Haas, médecin généraliste à la MSP de Pont d’Ain, a participé à la co-construction du cahier des charges Ipep. Avec les professionnels de sa maison de santé, il pilote un projet pour les prises en charge de l’insuffisance cardiaque et de l’insuffisance chronique. Pour lui, ce système de financement "permet véritablement d’améliorer la qualité des soins".

 

Et qu’en disent les jeunes ?

Le congrès s’est achevé sur une plénière consacrée aux "Jeunes pros". Il était surtout question d’entendre des professionnels de santé – kiné, sage-femme, médecin généraliste, infirmière – récemment installés, pour certains dans des déserts médicaux, et qui s’épanouissent en MSP. Pour Amandine Delori, son arrivée à la MSP de Buis-les-Baronnies (Auvergne-Rhône-Alpes) lui a offert "une visibilité énorme ». La sage-femme qui vit dans un petit village craignait jusqu’alors de ne pas avoir suffisamment de patientèle. "Aujourd’hui, non seulement les patients me trouvent facilement, mais je travaille aussi de concert avec des médecins qui font des suivis de grossesse et sur lesquels je peux m’appuyer."
 

Retrouvez la vidéo de la plénière sur les jeunes professionnels sur la chaîne Youtube d'AVECsanté
 

"Échanger, partager, ça rassure dans nos pratiques quotidiennes. L’exercice coordonné améliore le bonheur au travail, assure Mathieu Noirot, masseur-kinésithérapeute dans une MSP multisites en Haute-Garonne. On ne gagne pas plus et on ne travaille pas moins mais on travaille mieux." Cela dit, "cela ne suffit pas pour attirer des professionnels dans les déserts médicaux. Pour vouloir s’y installer, il faut aussi pourvoir y construire une famille et y vivre", a-t-il glissé.

Mathilde Renker, présidente de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Insar-IMG), le regrette : les étudiants en médecine ont une méconnaissance des compétences des autres professionnels de santé. "On ne sait pas ce qu’ils peuvent faire et comment il est possible de coopérer", a-t-elle expliqué. C’est pourquoi elle trouve important que les MSP accueillent des stagiaires, "ce qui va permettre d’apprendre à se connaître et à travailler en exercice coordonné". D’ailleurs, affirme-t-elle, les stages en exercice coordonné sont les plus prisés par les étudiants.

Agenda

Vers les Rencontres 2023 !

Plus d'infos sur www.avecsante.fr et rendez-vous à Saint-Malo en 2023 : vidéo de présentation sur la chaîne Youtube d'AVECsanté

 

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