Même en bord de Loire, un financeur, invité à débattre avec des financés en mal de financement, ne doit pas s’attendre à un long fleuve tranquille. C’est ce qu’a expérimenté, le 23 juin dernier à Nantes, le directeur général de l’ARS Pays de la Loire, Jérôme Jumel, face à des acteurs de santé et des élus acquis à la cause des centres de santé. Tous étaient invités par le collectif CO’santé, qui regroupe 54 de ces structures d’exercice coordonné et salarié, soit un tiers des centres de santé maillant la région*. Et le constat, devant près d’une centaine de personnes, a été unanime : les centres de santé permettent, en secteur 1, de faire de la prévention et d'assurer le suivi, en particulier dans des territoires dépourvus d’offre de soins. 

L’ARS Pays de la Loire leur consacre une enveloppe de 350.000 euros à l’aide au démarrage et à l’équilibrage sur leurs trois premières années, et accompagne leur trésorerie par une enveloppe de revalorisation des conventions collectives de près d’1,4 millions d’euros. Un soutien fort, martèle Jérôme Jumel. Et suffisant ? Non, à en croire Christelle Le Coz, directrice de CO’Santé : "On a toujours ce sentiment que, bien que complémentaires des maisons de santé et du libéral, et pleinement intégrés dans les CPTS, les centres de santé sont le parent pauvre des soins ambulatoires." 

Fin du soutien aux psychologues

Ainsi, Laurence Lamy, responsable d’un centre de santé situé dans le nord rural de la Loire-Atlantique qui compte un psychologue dans l'équipe, est-elle venue avec "une question très simple" pour l’ARS : "Pourquoi arrêter le dispositif lié à la santé mentale en centres de santé ?" Réponse de l'agence, par la voix de Béatrice Bonnaval, sa responsable adjointe du département Accès aux soins primaires : le financement dédié à des séances de psychologues en centres et maisons de santé, qui était assuré au niveau national, s’est arrêté notamment avec la mise en place par l’Assurance maladie de Mon Soutien psy… même si les deux dispositifs "ne se superposent pas" parfaitement.  

crédit : Co'santé

Jérôme Jumel embraie : le budget total des ARS est bien inférieur à celui de l’Assurance maladie, et leur vocation est davantage d’expérimenter et de soutenir par des subventions des dispositifs qui pour certains passent ensuite à un financement par les cotisations et l’Assurance maladie, précise-t-il. La réponse institutionnelle est claire. Mais sur le terrain, concrètement, pour ce poste de psychologue à Sion-les-Mines, "on fait quoi ?", soupire Laurence Lamy.  

"Met-on les médecins et les soignants dans des centres de santé qui devront fermer demain, faute d’un modèle économique adapté ?", dénonce Christelle Le Coz. Selon la directrice de CO’santé, "au-delà de leur vocation sanitaire, la plus-value sociale des centres de santé, dont la patientèle est constituée à 20 % des plus vulnérables, contre 10 % en moyenne en exercice libéral", n’est pas reconnue. Pas plus que n’est financée leur activité de prévention, gage pourtant de meilleure santé et d’économies ultérieures. 

Et le nombre moyen de consultations médicales ?

Les déficits des centres de santé s’expliquent, en partie, par le fait qu’ils sont majoritairement financés à l’acte médical, un modèle libéral que défendent d’ailleurs les syndicats de médecins, glisse le directeur général de l’ARS – comprendre que l’État ne peut être tenu pour seul responsable de tous les blocages… "Sans jugement de valeur", ajoute-t-il, le modèle économique des centres de santé conduirait à moins de consultations médicales : "trois par heure, contre quatre ou cinq en libéral"

"Avec moins de temps de travail, rétorque Christelle Le Coz. Les médecins salariés sont à 35 heures." Dans la salle, Aurélien Noguet, directeur général d’un réseau sanitaire associatif dans le secteur de Saint-Nazaire, se dit "assez heurté" par la mise en avant de statistiques comparant "la performance des médecins salariés et libéraux". Des statistiques dont le calcul a d’ailleurs été interrogé dans un récent rapport de l’Igas.  

En réponse, Jérôme Jumel dit se refuser à opposer les professionnels entre eux, et les maisons aux centres de santé. Ce qu’il illustre par des chiffres bien choisis : "On aide à hauteur de 15.000 euros la rédaction d’un projet de santé d’une MSP, et à hauteur de 30.000 euros le lancement d’un centre de santé…" Mais à un autre moment du débat, il assume de parler "cash" face au contexte économique : "Aujourd’hui, en tant que directeur d’une ARS, objectivement, il vaut mieux pour moi, en termes de subventions d’équilibre à apporter et à cadre budgétaire constant, qu’il y ait plus de MSP qui se développent que de centres de santé..." 

crédit : Co'santé

Les aides de l’ARS ne sont pas tout. Le financement des centres de santé se joue aussi au niveau conventionnel – une renégociation est en cours avec l’Assurance maladie – et dans l’arène politique. En ont témoigné, lors de ce débat nantais, les parlementaires de gauche Guillaume Garot, Jean-Claude Raux et Karine Daniel. La bataille n’est pas gagnée d’avance, selon la dernière de ces trois élus des Pays de la Loire. Au Sénat, où elle siège, "l’écho donné au développement des services de santé sur tous les territoires n’est pas aussi favorable qu’à l’Assemblée nationale"

"Il n’y aura pas de solution aux déserts médicaux sans les centres de santé, résume le député Guillaume Garot. Il y a cinq ans, on en parlait peu ; aujourd’hui, c’est une vraie réponse pour des millions de Français." Reste donc à leur faciliter davantage le travail. Après avoir exploré les textes officiels, Christelle Le Coz cite une poignée de mesures, parmi lesquelles la possibilité introduite tout récemment de CDD dérogatoires au Code du travail pour les médecins exerçant dans certains centres de santé, ou le relèvement à 75 ans de l’âge maximal du cumul emploi-retraite des médecins en centres de santé. "Ce n’est quand même pas beaucoup. Nous avons besoin d’une stratégie institutionnelle de développement." 

 

* Débat organisé en partenariat avec le Concours pluripro.
Focus

L’appétence accrue au salariat médical, un atout pour les CDS ?

Si la densité médicale en Pays de la Loire est inférieure de 12 % à celle du pays, ce n’est pas forcément parce qu’elle a perdu beaucoup de médecins. Mais plutôt parce qu’elle a gagné de nombreux habitants. Et certains secteurs, ruraux ou situés en politique de la ville, souffrent davantage de la pénurie médicale. Pour attirer les praticiens, Jérôme Jumel, directeur général de l’ARS Pays de la Loire, indique que l’université de Nantes travaille à une première année de médecine en Vendée, à La Roche-sur-Yon. Il défend l’idée d’encourager les très jeunes habitants des territoires isolés aujourd’hui, en Mayenne par exemple, à en être les médecins demain. Des actions s’inscrivant  "dans la droite ligne" du "Pacte de lutte contre les déserts médicaux" récemment présenté par le gouvernement
Reprenant des données de l’Ordre, Christelle Le Coz, directrice de CO’Santé, note qu’en 2010, en France, presque 42 % des médecins en activité régulière étaient salariés ; en 2024, ils sont 49 %. Les jeunes générations se tournent aussi davantage vers l’exercice collectif. Et les centres de santé semblent tout indiqués pour satisfaire cette double attente. "Comment accompagner l’appétence au salariat ?", interroge Christelle Le Coz. 
Autre invitée de la table ronde, Laure Artru, rhumatologue, estime, pour sa part, que le problème est moins celui du nombre de médecins que du "temps médical disponible", variable d’un lieu à l’autre, d’une génération à l’autre... Elle-même intervient comme vacataire dans un pôle issu d’un centre municipal de santé, dans la Sarthe, où officient une douzaine de médecins. Moyenne d’âge : 71 ans. Mais " une jeune de 55 ans vient d’arriver"...  
Parmi les propositions de Laure Artru figurent le recours aux infirmières en pratique avancée (IPA), pour permettre aux médecins d’augmenter leur nombre de consultations, et l’organisation de consultations spécialisées en zones reculées, qu’elle encourage à travers le projet "Les Spécialistes solidaires". 

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